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Mais, outre ses deux façades moresques, le palais a d’autres parties qui satisferont mieux peut-être des connaisseurs plus rigoureux. La cour intérieure et son architecture, l’entrée della Carta, l’escalier des géans sont d’un tout autre style. Il y en a, comme on dit, pour tous les goûts, et l’uniformité n’est ni le mérite ni le défaut des monumens de Venise. Lorsqu’on monte dans le palais par l’escalier d’or, on se croit dans un musée comme au palais de Versailles. La république de Venise gît dans l’un aussi splendidement ensevelie que dans l’autre la monarchie de Louis XIV. La salle immense du grand conseil est peut-être moins originale que le salone du palais de la raison de Padoue, mais elle est beaucoup plus claire et tout autrement magnifique. Paul Véronèse et le Tintoret, aidés de Palma le jeune et du Bassan, en ont couvert les parois de riches peintures. Je donnerais le prix au tableau du milieu du plafond : Venise dans un nuage et couronnée par la gloire; c’est l’œuvre de Véronèse. Le Paradis du Tintoret, qui remplit tout un côté de la salle, passe pour le plus grand tableau connu (10 mètres sur 25); mais il n’est pas le plus beau. La fécondité d’imagination et la hardiesse de pinceau n’y sauraient manquer; malheureusement tout est noir et confus, et il vaut mieux regarder soit les portraits des doges, soit les nombreuses peintures historiques qui célèbrent plutôt qu’elles ne les retracent les grandes journées des fastes de Venise. Toutes les autres salles du palais sont richement décorées et garnies de bons ouvrages de l’école nationale. La plus complètement belle est celle dite du collège; c’est là qu’on recevait les ambassadeurs. Paul Véronèse a peint le plafond, qui est encore une gloire de Venise, supérieure peut-être à la précédente. Dans la salle d’attente, il n’y a que des tableaux mythologiques, dont la plupart font honneur au Tintoret; l’Enlèvement d’Europe, de Paul Véronèse, passe à bon droit pour un de ses chefs-d’œuvre. C’est en les traitant avec cette poésie qu’on ennoblit ces sujets bizarres et voluptueux de la mythologie. Quelques appartemens ont été convertis en cabinets d’antiquités. Parmi d’assez beaux marbres, on y distingue un Ganymède enlevé par l’aigle de Jupiter, statue singulière destinée à être suspendue. On dit que Canova l’attribuait à Phidias; ce jugement étonne, mais on n’ose en appeler. Un groupe singulièrement expressif représente Léda séduite par le cygne divin, et la séduction va si loin qu’un spectateur tant soit peu prude pourrait s’en plaindre. La statuaire n’a pas ici sa chasteté accoutumée. D’autres morceaux de sculpture devraient être cités, mais nous ne nommons pas tout ce que nous avons remarqué.

L’art, je l’avoue, m’a plus intéressé au palais du doge que la politique. Il a fallu cependant visiter les fameux puits, qui, s’ils ne sont pas au-dessous du niveau de la mer, ni plus horribles à voir que