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elle ne s’est signalée que par sa résistance à l’Autriche pendant un siège d’un an, et c’est justement dans ce drame d’une année que Daniel Manin eut un rôle à part, obligé de faire face à tout, domptant des émeutes par sa parole, dialoguant tous les jours avec ce peuple impressionnable qui venait lui demander tantôt des armes, tantôt du pain, formant un gouvernement et donnant à cette malheureuse Venise une ombre d’existence en Europe. Rien n’est plus curieux que certaines scènes familières entre les Vénitiens et leur dictateur, qui finissait toujours par avoir raison. Lorsque l’annexion de la Vénétie au Piémont fut prononcée, Manin s’effaçait en disant : « Qu’il n’y ait en ce moment ni royalistes ni démocrates; soyons Italiens avant tout. » Quand les Piémontais furent réduits à suspendre la guerre, il reprit le pouvoir qui tombait de toutes les mains, et cette fois ce fut pour soutenir la lutte jusqu’au bout, de façon à faire honorer du moins Venise dans sa chute et à inspirer aux Autrichiens eux-mêmes des sentimens d’estime. Qu’on se souvienne que Venise, serrée par un blocus étouffant, ne succombait qu’après Novare, après la prise de Rome, quand tout était fini au-delà des Alpes. Cette Italie effervescente et belliqueuse de 1848 n’est plus.

Après la capitulation de Venise en 1849, Manin s’était retiré en France, où il vivait d’une vie modeste et éprouvée; les deuils de famille étaient venus s’ajouter pour lui aux tristesses de l’exil. Malgré tout, il était visiblement plein d’espérances encore. Dans ces derniers temps, on le voyait se multiplier, adresser des appels à ses compatriotes, en engageant tous les Italiens à se rallier à la maison de Savoie, à la condition que celle-ci se dévouerait à l’œuvre commune. Manin constituait sans doute assez chimériquement de nouveaux royaumes, outre que c’est là une de ces aventures où la maison de Savoie risquerait sa couronne sans être bien sûre de la couronne d’Italie, même quand elle aurait battu les Autrichiens, et qu’il ne lui resterait plus à vaincre que les Italiens; mais enfin cela montre que l’ancien dictateur de Venise, bien que par goût attaché à la république, savait faire le sacrifice de ses opinions, cherchait sincèrement ce qui était possible, et mettait au-dessus de tout l’indépendance nationale. Il n’était pas de ces sectaires étranges qui volontiers immoleraient la patrie à leurs rêves, et qui sont les premiers ennemis de l’Italie. Sous ce rapport, Daniel Manin différait entièrement de Mazzini, et l’influence qu’il pouvait exercer au-delà des Alpes était d’une nature tout opposée, comme on l’a vu en ces derniers temps. Quelles que fussent les illusions de l’ancien dictateur de Venise, il avait su se faire estimer pour son caractère, et il laisse un nom qui rappelle un des plus attachans épisodes des révolutions contemporaines de l’Italie.

Depuis que l’Italie a eu ses révolutions, l’Espagne a eu les siennes, d’une autre nature; elle les a traversées aussi rapidement : se trouve-t-elle aujourd’hui dans une situation plus certaine et mieux affermie? Il semble au contraire qu’il y ait une sorte de difficulté secrète et indéfinissable dans les affaires de l’Espagne, et que le doute se glisse partout. Il y a plus d’un an déjà que l’esprit de conservation a remporté une victoire éclatante au-delà des Pyrénées, et que toutes les garanties d’un régime plus régulier ont été restaurées. Le cabinet actuel, qui a pour lui l’expérience et la vigueur de son chef, le général Narvaez, compte plus de dix mois d’existence ; il a obtenu des chambres dans la dernière session un concours décidé et perma-