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qui a été une des forces de la littérature contemporaine. Tous ceux qui auraient dû ne point manquer à cette heure dernière du critique n’étaient point là sans doute. M. Cousin y était. M. Jules Janin s’est fait honneur en oubliant que plus que tout autre il avait violemment poursuivi Gustave Planche, et en venant dire la parole de paix, l’adieu de tous à l’homme étranger désormais aux luttes de ce monde.

Voici cependant que de cette mort et de cette paix du tombeau il se dégage un plus haut et plus sérieux enseignement. Gustave Planche, pendant sa vie, a été assailli de bien des injures et de bien des récriminations. Il avait soulevé des animosités et des ressentimens qui ont cherché plus d’une fois à lui faire expier cette vertu qu’on nomme l’indépendance de l’esprit. Il n’y prenait pas garde, il ne lisait jamais ce qu’on disait de lui. Il fallait que l’injure eût dépassé toute limite pour qu’il le sût et s’arrêtât un instant. Il meurt tout à coup, et que reste-t-il de ces animosités ? Tout le monde sent aussitôt le vide qui vient de se faire dans les lettres et dans les arts. On reconnaît ce qu’il y avait de sensé, d’utile, de salutaire, dans cette critique vigilante et forte, dont l’intégrité reçoit de publics hommages. Et qu’on ne pense pas que ce sentiment se manifeste uniquement dans le monde littéraire, parmi les écrivains. De toutes parts arrivent ici des témoignages qui prouvent que l’autorité de la parole de Gustave Planche était plus grande encore et plus étendue qu’on ne le croyait peut-être. Sa mort seule donne la mesure exacte de la place qu’il occupait dans l’opinion. Il est donc vrai, la sincérité conserve encore son prix dans le monde, et le jour des rémunérations arrive aussi pour les austères franchises de la critique. C’est là peut-être un fait à noter comme un symptôme heureux. Malgré tout, il y a dans les esprits et dans les âmes un besoin secret de voir s’exercer sans faiblesse cette sévérité de la censure morale et littéraire. Serait-ce pour la critique le moment de manquer à sa mission ? Plus que jamais au contraire elle voit s’ouvrir devant elle une grande carrière. Il est difficile, dira-t-on, de se plier à toutes les conditions de la critique, de se retrancher dans cette indépendance que s’était faite Gustave Planche. Il faudrait renoncer au monde et aux relations sociales, aux bienveillances qui flattent, aux habitudes qui plaisent ; il faudrait s’isoler absolument, s’abstenir presque d’être un homme pour juger les hommes et leurs œuvres. — C’est un idéal un peu sévère. Il n’est peut-être pas aussi difficile qu’on le pense d’exercer une critique sérieuse et utile. L’essentiel n’est pas de fuir les hommes et leur société ; l’essentiel est de fuir les mauvaises doctrines, les influences corruptrices, et d’élever son esprit au-dessus des considérations vulgaires dans l’expression sincère et indépendante d’un jugement. Il peut y avoir sans doute des vanités blessées, des amours-propres mécontens ; mais il y a aussi une multitude d’intelligences sympathiques qui recueillent une parole juste et convaincue. Qu’on songe bien que la critique aujourd’hui ne peut avoir une autorité sérieuse et accomplir son œuvre qu’en travaillant d’un commun effort à redresser les idées, à raviver les notions morales, à rectifier des tendances avilissantes, à remettre en honneur le prix de l’étude et toutes les applications élevées de l’art, car, pour tout dire, le monde contemporain a besoin d’être guidé, non d’être flatté ou amusé.

Tandis que l’Italie est retombée par degrés dans sa situation d’autrefois,