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et s’étendre les efforts de l’érudition et de l’intelligence pour retrouver les titres de l’humanité. C’est à la lueur de la renaissance que la science remet à nu ces fondemens longtemps enfouis de la philosophie politique, et les premières idées libérales, passant des livres dans les esprits, pénètrent peu à peu le public, et du public elles gagnent quelquefois les tribunaux ; les conseils d’état, même les trônes. Presqu’en tout lieu il se forme une opinion générale confuse et incertaine peut-être, mais qui tend à la limitation des pouvoirs par les lois, à l’intervention du vœu national dans les lois mêmes. C’est un fait universel dans l’ancienne Europe, quoiqu’il n’ait point partout pris les mêmes formes, acquis la même intensité, abouti à des progrès et à des résultats égaux, mais jamais il n’a pris une forme plus grandiose, jamais il ne s’est manifesté par un progrès plus éclatant et par un résultat plus formidable qu’alors qu’il s’est appelé la révolution française.


III

Le lecteur aura sans peine appliqué tout ce qui vient d’être dit à notre France. Antagonisme et différence des races, privilèges et franchises, royauté, aristocratie, tiers-état, mouvement de l’opinion et influence des lettres, action combinée des événemens, des traditions, des livres et des idées, il aura de lui-même fait la part de tout cela dans notre pays, et il aura compris combien devait être grande, pour une société telle que la nôtre, la difficulté de se transformer un jour en société libre.

Partout en Europe la société est originairement un produit composé de la domination romaine, de la conquête germaine, de l’action de la féodalité et de la royauté. Du concours ou du conflit de tant de causes diverses, il est provenu un ordre social contre lequel lutte sourdement l’esprit des siècles nouveaux. Partout une révolution lente ou subite, ou d’abord lente, puis subite, a dû ou doit changer cette société, et ce changement ne peut se consommer sans que le gouvernement soit mis dans un certain rapport avec le nouvel ordre de la société. Ainsi partout s’est faite, ou s’opère, ou se prépare une révolution sociale, une révolution politique. La révolution française a été l’une et l’autre. Qu’elle ait été une révolution sociale, on ne le nie guère ; comme telle, les caractères de son œuvre peuvent ne pas plaire à tous, mais tous les reconnaissent pour ce qu’ils sont, et la question de fait est résolue de même par tout le monde. Il n’en est pas ainsi de la révolution politique. Depuis 1789, la société française, issue des longues luttes de l’ancien régime et soudainement amenée par une crise féconde à une certaine constitution