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Ils ne veulent pas convenir que, si le possesseur du sol peut seul mettre en valeur la propriété souterraine, celle-ci courra grand risque d’être immobilisée, quand elle ne sera pas gaspillée. Il est évident en effet que l’étendue nécessaire à l’exploitation d’un gîte minéral ne correspondra qu’exceptionnellement à la superficie d’une seule propriété. À cette objection fondamentale ils répondent que l’association est un remède tout trouvé pour un mal peu probable, — comme si, dans l’état de division de la propriété en France, où l’étendue moyenne est, dit-on, de neuf hectares, la réunion de tous les propriétaires (car le refus d’un seul empêcherait toute entreprise commune) ne dût pas être fort difficile au point de vue du terrain, et probablement irréalisable au point de vue pécuniaire. Le morcellement du sol, qu’on regarde comme un obstacle aux progrès de l’agriculture et dont on se préoccupe tellement qu’il est interdit par le législateur dans quelques contrées de l’Europe, aurait certainement une influence désastreuse sur l’exploitation des mines. Concluons plutôt avec Mirabeau, contre Adam Smith, Merlin, J.-B. Say, qu’il « est impossible, dans une telle question d’intérêt général, de se reposer uniquement sur l’intérêt des propriétaires du sol et de courir toutes les chances de leur paresse, de leur ignorance ou de la faiblesse de leurs moyens. »

Dans un système intermédiaire, fort préconisé par Turgot, à propos d’un avis qu’il avait eu à donner au conseil d’état comme intendant de la généralité de Limoges[1], les mines seraient à celui qui les découvre; elles seraient attribuées au premier occupant, en vertu de ce droit qui n’est jamais reconnu qu’une fois, à l’origine d’une société, et s’efface ensuite devant les règles que trace le droit public. Certes, en pareille matière, il faut tenir grand compte de l’inventeur, bien que le hasard ne préside que trop souvent à la découverte des mines. Il faut que ses droits réels soient rémunérés par la société, qui lui doit le prix d’un service rendu, qu’il soit payé des études auxquelles il a pu se livrer, des avances qu’il a pu faire, et maintenant la législation française y pourvoit d’une manière rationnelle; mais il est impossible d’attribuer les mines au premier occupant, sous peine d’ériger, pour ainsi dire, en principe une guerre continuelle et souterraine entre les mineurs qui attaqueraient le même gîte, — lutte qui deviendrait une source interminable de chicanes, au sujet notamment de cette qualité même de premier occupant. Turgot complétait sa théorie en disant que personne n’a le droit d’ouvrir la terre dans le champ d’autrui sans le consentement du possesseur, mais que chacun a le droit d’y

  1. Des Mines et des Carrières (Œuvres de Turgot, Paris, 1808, t. IV, p. 400).