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au soleil ; le crédit a suivi de près les millions. Et voici bien une autre affaire : au milieu de cet écroulement général, la dot de Nea Slumberton, — une bagatelle, il est vrai, — mais enfin cent mille livres sterling, c’est-à-dire deux millions cinq cent mille francs, dernière ressource de Diego Dwyorts, se trouve, — peu nous importe comment, — la propriété de Jack Wortley. Il y a de quoi prendre en guignon ce trop heureux personnage, et Diego y manque d’autant moins que Jack, toujours bon, toujours généreux, toujours grand seigneur, prête sans compter au père et au fils tout l’argent que réclament leurs plus impérieux besoins. Comment lui pardonner tant de bienfaits? D’ailleurs Diego le sait amoureux de Thérèse, et lui, Diego, retrouvant cette femme jadis aimée, s’est repris pour elle d’une seconde passion, plus ardente peut-être que n’avait été la première : passion bien malheureuse, car, de tous les hommes qu’elle put rencontrer sur terre, il est très certainement le dernier qu’elle aimera. Kees lui-même a plus de chances que Diego.

Diego ruiné, réduit aux expédiens et bigame, Diego, pour comble de malheur, dégoûté de sa seconde femme, amoureux fou de sa première et jaloux du seul ami qu’il ait au monde, Diego est décidément sur une mauvaise voie. Un beau jour il succombe à la tentation, et sur deux lettres de change, tirées pour une forte somme, il écrit, de son écriture la mieux déguisée, le nom abhorré de Jack Wortley. Ces billets circulent. Jack est prévenu. Voici le moment où de ces deux hommes fatalement poussés l’un contre l’autre, comme de deux nuages chargés d’électricité, jaillira la foudre.

Les bohémiens sont à table. On a dîné joyeusement. Au dessert, Jack demande la permission de dire quelques mots, et après un court exorde :


« — Voici, messieurs, deux documens sur lesquels je vous prie de jeter les yeux. Ce sont deux billets à ordre, chacun de deux mille livres sterling (50,000 fr.) que j’ai soldés aujourd’hui même, afin d’en prévenir l’échéance. Ils sont tirés par M. Diego Dwyorts et censés acceptés par moi. Maintenant, depuis mon arrivée en Angleterre, je n’ai pas une seule fois engagé ma signature. Dites-moi, gentlemen, ce que je dois faire.

« Diego avait tout calculé, hormis ceci. Sous son crâne, tout vacillait. Les murs éclatans, le plafond doré de la grande salle à manger, lui semblaient s’incliner et s’abaisser pour l’écraser.

« Frappés d’une pénible stupeur, les convives, hagards, se taisaient. Jack, froid et posé, achevait son verre à petites gorgées.

« Roper, toujours bon, toujours prompt en ses généreuses inspirations, se pencha vers lui, et à travers la table, d’une voix sourde et contenue :

« — Déchirez cela, Jack. Dwyorts paiera; je me porte sa caution.

« Diego, paralysé, s’était renversé sur le dossier de sa chaise.