Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout dire. Le jour où elle rencontra Diego, l’heure de Thérèse Desprez avait sonné sans doute. Elle crut que le ciel lui envoyait un de ces rares amours auxquels ses romanesques lectures lui faisaient croire. Un si jeune homme, si gai, si passionné, ne pouvait mentir... « Il envoyait des bijoux, on ne les recevait pas; il amena un prêtre, un prêtre de la religion qu’elle professait en sa qualité d’artiste, un prêtre de l’église romaine. Elle se moqua du révérend, mais le pria de rester à dîner. Ce fut un dîner des plus gais, gai comme les bouchons de vin de Champagne, quand ils sautent en l’air, chassés par le gaz épanoui. Ce soir-là même, Thérèse et Diego furent mariés. Elle avait été éblouie par ses richesses, elle s’était émue de son dévouement. Ils partirent pour l’Orient; la lune de miel gravite volontiers autour du soleil. Ils s’enivrèrent de volupté. En revenant, la peur le prit, à l’idée de son père irrité. Elle le vit changer, et lui en voulut. La passion du jeune homme était assouvie. Thérèse venait de subir sa première déception de cœur. Ils se séparèrent... »

Voilà comme raconte M. Whitty, et ce n’est point mal raconter, n’est-il pas vrai? Avec les dix lignes qui précèdent, combien de feuilletons, — comptez sur vos doigts, — aurait composés un de nos romanciers féconds. Aussi n’ont-ils pas fait leur apprentissage à la chambre des communes, la véritable école, comme on sait, du style concis et laconique.

La bigamie de Diego Dwyorts forme le nœud du roman; mais du roman et de ses complications, il est un peu trop clair que l’auteur se moque tout le premier. Il lui fallait un fil pour accrocher ses marionnettes, et, ma foi, autant celui-là qu’un autre. Les marionnettes en revanche, voilà l’essentiel. La liste en serait longue, car ce livre bizarre fourmille de personnages qu’on nous montre, qu’on fait parler une heure, et qui disparaissent ensuite sans retour possible. Force nous est donc de choisir. Arrêtons-nous d’abord à Jack Wortley. Jack Wortley est un joyeux jeune homme qui nous apparaît en premier lieu sur la côte d’Irlande, au milieu des horreurs d’un naufrage, comme capitaine propriétaire d’un beau brick arrivant d’Amérique. Ce jour-là, il ne prend pas son vrai nom; mais plus tard il arrive, en cabriolet et avec toutes les allures de l’homme opulent, à la porte de la manufacture du vieux Jacob Dwyorts. Chose étrange! il y connaît tout le monde, salue par son nom au passage le moindre ouvrier, et tombe enfin comme la bombe dans le cabinet même du chef de l’établissement. Il s’agit, on va le voir, d’un petit règlement de comptes tout à fait caractéristique.


« — Eh bien! monsieur?... dit le vieillard, que le jeune homme regardait en silence.