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père de « milord-duc » lorsque sa seigneurie l’assure que John Bull jouit de la liberté la plus complète, des droits les plus étendus, et que notamment il ne tient qu’à John Bull d’être, lui aussi, un aristocrate, si bon lui semble : — voilà ce qui indigne particulièrement M. Whitty. Et c’est cette indignation qui lui a fourni ses meilleurs portraits politiques. Dans celui de lord Carlisle, il crayonne avec un art remarquable cette physionomie de grand seigneur lecturer promenant ses lieux communs élégans d’athénée en athénée, et partout entouré de badauds ébahis, émerveillés, reconnaissans. Il commente avec une verve épigrammatique digne de Dickens et de Thackeray, — mais plus amère, plus directement hostile, — la devise équivoque des Howard, inscrite sur l’écusson du noble comte : Volo, non valeo; il montre le pair whig aux prises avec sa conscience qui lui reproche de ne pas traduire en actes les grands principes dont il se fait le propagateur, et les paroles sonores à l’aide desquelles il enlève les applaudissemens des meetings populaires convoqués pour l’entendre.


« Oui, lui dit-il, vous êtes populaire. Après vingt années de brigues et de travaux, vous avez obtenu cette popularité convoitée et courtisée. Les grandes familles whigs vous en savent gré. Elles vous ont envoyé en tirailleur reconnaître le camp ennemi, et dans les dîners publics, dans les lecture-rooms. vous avez fait le coup de feu avec succès. Reconnaissantes, les grandes familles whigs, pour seconder vos efforts, pour vous donner le poids qui vous manquait, vous ont octroyé quelques grandes charges secondaires. Vous avez été secrétaire pour l’Irlande, votre caractère s’adaptant au génie facile et bienveillant de cette race enthousiaste. Vous avez été chancelier du duché de Lancastre, sinécure grasse qui vous laissait tout le loisir de coqueter avec la démocratie... Maison somme qu’avez-vous dit et qu’avez-vous fait?... J’ai entendu, j’ai lu bien des colonnes émanées de lord Carlisle, et je n’ai pas la moindre idée de ce que lord Carlisle peut avoir dit. Il dit en général « que la nature humaine est une grande merveille et un grand mystère, — que c’est un grand bonheur de naître bon, — qu’il faudrait assainir l’atmosphère infecte des villes, — que les criminels en bas âge vaudraient bien mieux s’ils avaient plus de religion, — que l’âme de l’homme se développe sous un gouvernement libre et constitutionnel, — que les catholiques romains seraient facilement plus libéraux s’ils étaient moins enclins au torysme, — enfin que Pope est un poète à lire... » Telle est l’impression que j’ai gardée de la philosophie sociale, politique et littéraire de lord Carlisle. J’avoue que je n’y trouve rien à reprendre. J’avoue aussi que ces belles généralités, débitées avec un certain art et par un pair du royaume, vont mieux à la foule qu’une rhétorique un peu plus ardue et une analyse plus rationnelle. Et ainsi se fait une réputation d’homme libéral, d’âme généreuse : — Voilà, voilà le vrai nobleman, se disent les bourgeois enthousiastes. « 


Le jugement est peu charitable sans nul doute, il est malveillant,