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prise, si nous avions envoyé dans l’Inde les forces dont nous pouvons avoir besoin pour nous défendre chez nous. »

Les mêmes raisons qui font que l’Angleterre rencontre peu de sympathies sur le continent européen font aussi qu’elle en trouve de toutes naturelles de l’autre côté de l’Atlantique. La communauté des principes autant que celle de la race unit par des liens indissolubles les Anglais et les Américains, et ce n’est pas la première fois que l’Europe, au moment où elle croyait que les deux nations allaient en venir aux armes, a vu la voix du sang faire taire la voix de la colère. Les Anglais et les Américains se disputent beaucoup et souvent, c’est vrai ; mais ils se disputent dans la même langue. C’est donc sans surprise que nous avons vu la presse américaine, après avoir considéré la question au point de vue commercial, ajouter cette déclaration significative : « Mais la décadence et la chute de l’Angleterre auraient pour nous un intérêt bien autrement sérieux. Outre qu’elle est notre plus proche alliée et notre meilleure pratique, l’Angleterre est dans une position particulièrement intéressante pour nous, comme la tête et le refuge de la liberté en Europe. L’Angleterre est à peu près le seul pays d’Europe où l’on puisse parler, écrire, penser, agir librement. Si l’Angleterre était détruite, il n’y aurait pas de l’autre côté de l’Océan une digue contre la tyrannie des races royales et des oligarchies… L’Europe serait inféodée aux despotes, et qui sait à quelles extrémités ils se porteraient une fois délivrés de leurs terribles antagonistes, la presse libre et l’esprit libre de l’Angleterre ? La chute de l’Angleterre arrêterait pendant plus d’un siècle la marche de la liberté. »

Il nous paraît prématuré de raisonner sur la décadence ou sur la chute de l’Angleterre ; c’est un événement que nous ne croyons pas imminent. Il serait hasardeux sans doute de vouloir prédire l’issue immédiate de la lutte engagée dans l’Inde : nous devons nous habituer à des accidens qui déjouent tous les calculs ; mais, quant à l’issue définitive, elle n’est point pour nous l’objet d’un doute. Il y a là une force vivante aux prises avec une force morte. Tôt ou tard le roseau pensant aura raison de la masse brutale qui est tombée sur lui comme une avalanche, mais qui n’apporte avec elle que des ruines et des cendres. L’idée de la nationalité, la seule qui pût servir de fondement sérieux à une pareille révolution, n’existe pas dans l’Inde. Sur aucun point, on ne voit la population se rallier au drapeau de l’armée révoltée ; les vainqueurs n’usent de leur triomphe d’un jour que pour se gorger de sang et d’or, et n’aspirent qu’à emporter leur butin dans leurs tanières. Quand les couches inférieures de ces tribus sans nombre et sans nom qui forment la population de l’Inde auront subi pendant quelque temps le joug