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ainsi gouvernée ; mais, de la manière dont on se conduit, je suis stupéfait que nous puissions la garder une seule année. »

Le général Napier n’était pas seul à signaler le danger de la prédominance de la caste dans l’armée indigène. Un autre officier supérieur, qui a servi trente ans dans l’Inde et qui y est bien connu, le général Jacob, avait, il y a quelques années, adressé au gouvernement anglais un rapport qui fut alors enterré dans les cartons et qui vient d’être exhumé avec beaucoup d’autres. Le général Jacob y disait : « Le mal dont je parle est très grave. Enrôler dans l’armée indienne des hommes d’une certaine caste ou d’une certaine croyance à l’exclusion des autres, c’est soumettre l’armée au contrôle, non pas du gouvernement et du code militaire, mais des brahmanes et des prêtres. En vertu de ce système, on ne prend pas un homme parce qu’il est propre à faire un soldat, parce qu’il est fort, docile et courageux, mais parce qu’il est deux fois adorateur de Vischnou. Quelles que soient ses qualités, un homme qui ne veut pas adorer comme son créateur un caillou peint en rouge, ou un homme qui aura été cordonnier par exemple, ne sera pas admis dans les rangs de l’armée du Bengale, pour ne pas offusquer les oisifs et insolens brahmanes. C’est là ce qui détruit toute discipline. Par cette raison, un soldat du Bengale a bien plus peur de manquer à la caste que de manquer au code militaire, et s’arroge ainsi une indépendance incompatible avec toute règle salutaire. La trahison, la sédition, les désordres de tout genre peuvent faire leur chemin dans les rangs des simples soldats, sans que les officiers en sachent rien, quand tous les hommes sont de la même caste, et observent leurs règles particulières plus que la discipline militaire. Le mal va si loin, que j’ai vu un officier supérieur dans le Bengale exprimer ses regrets d’avoir été obligé de renvoyer un excellent cipaye parce que les autres avaient découvert qu’il était d’une caste inférieure et avaient demandé son renvoi. Cela étonne un officier de l’armée de Bombay : mais c’est l’état normal de l’armée du Bengale… » Le général Jacob conclut en ces termes : « Le remède est clair : ne prendre aucun souci de la caste, quand on enrôle les hommes. Si, parmi ceux qui sont déjà au service, il y en a qui se plaignent, qu’on leur déclare que le gouvernement se soucie comme d’une épingle d’avoir des Hindous, ou des musulmans, ou des brahmanes ou autres, pourvu qu’il ait de bons soldats… »

Voici donc quel a été le principal défaut de l’organisation et de la composition de l’armée indigène, et ce qui a fait qu’au jour marqué pour la révolte elle a suivi le mot d’ordre avec un si grand ensemble. Les avertissemens réitérés des généraux qui revenaient de l’Inde n’avaient pas le pouvoir de réveiller la torpeur ni de secouer la routine du gouvernement, et cette indifférence, il faut le dire,