Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une opinion en essayant de n’en pas avoir, de même qu’il faut de la philosophie pour dire qu’il n’y a pas de philosophie. N’avoir point d’opinion, c’est admettre que tout se vaut, c’est s’attendre et se résigner à tout. C’est en d’autres termes, aux époques révolutionnaires, proclamer l’instabilité universelle. Or cela même est une politique, et ce n’est pas celle qu’il serait le plus difficile de soutenir, si l’on pouvait se résoudre à l’adopter.

Du moment qu’on ne peut se passer d’un système politique, et que notre révolution a été pour ainsi dire un concours ouvert entre toutes les doctrines, il peut être bon de montrer, en écartant toute métaphysique, comment la théorie du gouvernement représentatif a peu à peu prévalu, et quelle suite d’idées a conduit de tout temps les esprits supérieurs aux principes dont il est jusqu’à présent l’expression la plus parfaite.

Dans toute controverse sur la constitution de l’état, deux opinions ou plutôt deux dispositions d’esprit sont d’ordinaire en présence : l’une qui tend à prendre la constitution la plus simple comme la meilleure, l’autre qui nie qu’un bon gouvernement soit possible sans une certaine complication. L’amour de la simplicité nous est naturel ; mais en aucune matière il n’y faut céder aveuglément. Trop souvent c’est la paresse ou le sentiment de la faiblesse de notre esprit qui, dans les sciences mêmes, nous fait regarder la simplicité comme le signe de la vérité. Cette opinion a plus souvent égaré l’esprit humain qu’elle ne l’a conduit au but, et plus la nature est connue, plus elle paraît compliquée. Quand même ce point de vue de la science serait provisoire, et que des recherches ultérieures nous devraient rapprocher davantage de cette unité que nous prenons sur nous d’attribuer à la création, il demeurerait vrai que jusqu’à nouvel ordre les systèmes d’unité ont figuré au nombre des grandes erreurs de l’esprit humain, et il serait encore plus vrai que lorsqu’il s’agit des choses humaines, la simplicité est l’exception, bien loin d’être le fait général. Indépendamment de l’action des causes permanentes ou accidentelles qui ne viennent pas de l’homme, sa nature spéciale est celle d’un être tout rempli d’antagonismes. L’esprit et le corps, la raison et la sensibilité, l’idée, l’intérêt, la passion, l’orgueil, l’appétit, l’habitude, le préjugé, la tradition, que sais-je ? une foule de principes divers agissent ensemble ou séparément, et dans la détermination morale la plus ordinaire, quand même on écarterait toute sollicitation des penchans ou des motifs réprouvés par la conscience, il se rencontre souvent un conflit de règles de conduite qu’il est également difficile de concilier ou de subordonner les unes aux autres. Quand nous ne délibérons qu’entre des devoirs, des contradictions se présentent, et combien