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les éventualités, même les plus improbables, il restera encore une masse énorme pour exercer sur le marché une pression sans précédens. Pour exprimer la même idée autrement, à mesure que l’or sera extrait des mines, tout ce qui n’aura pas été absorbé par les arts industriels se placera dans la monnaie, chez tous les peuples qui l’admettront en cette qualité, et sur chaque territoire il se répandra dans des proportions mesurées sur les facilités qu’il y rencontrera. Mais il y sera en grand excès par rapport à tout ce que le service des transactions aurait pu réclamer, si le métal eût gardé sa valeur entière, c’est-à-dire que l’or y circulera dans des conditions qui sont précisément celles qu’on indiquerait, si l’on avait à exposer ce qu’il faut pour en déterminer infailliblement la baisse.

A moins donc d’avoir une foi bien robuste dans l’immobilité des choses humaines, on doit considérer la baisse de l’or comme un événement auquel il faut se préparer sans perdre de temps. Et qui ne sait que la valeur de l’or par rapport aux denrées en général et par rapport à l’argent en particulier, au lieu d’être fixe, a éprouvé de très nombreuses variations, qu’elle a été en se modifiant, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, depuis le commencement du monde, sous l’influence de forces bien moins énergiques que celles qui sont en action aujourd’hui? Je renvoie ceux qui voudraient des renseignemens sur ce sujet à un écrit où une autorité illustre, M. de Humboldt, l’a traité avec la supériorité qui le distingue, et en répandant sur la question les vives lumières qu’il apporte toujours avec lui. On y verra, par exemple, qu’en jetant dans la circulation du monde romain une masse d’or très importante, il est vrai, Jules César détermina une baisse du métal telle que quelque temps après avoir valu dix-sept fois son poids d’argent, il tomba à ne plus le valoir que neuf fois[1]. Par quel sortilège exceptionnel les causes naturelles de la baisse de l’or seraient-elles paralysées, maintenant qu’elles se révèlent sur des proportions inusitées?

Indépendamment de tout calcul détaillé, dans le genre de celui qui précède, et que je crains d’avoir trop allongé, il y a une manière générale de se convaincre de l’imminence de la baisse de l’or, à moins qu’une cause, présentement impossible à prévoir, n’en fasse brusquement cesser la production extraordinaire. Le métal qu’on extrait avec tant d’abondance en comparaison du passé, s’il se jette dans la monnaie, en fera fléchir le cours par sa masse. Pour l’empêcher de s’y précipiter, il faudrait que le luxe lui présentât un débouché suffisant, et cela est-il possible? L’or ne faisait plus défaut

  1. Ce travail du patriarche des sciences d’observation est antérieur de plusieurs années à la découverte des mines de la Californie, il date de 1838. Le Journal des Économistes de mars, avril et mai 1848, en contient une bonne traduction, due à M. Rempp.