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la sphère de la théorie n’est point fermée. Moins on peut être soupçonné de prétendre à aucune influence actuelle, et plus il semble qu’on doit s’adonner librement à la spéculation et à l’histoire. Dans le calme un peu languissant des esprits, on peut, sans craindre d’éveiller d’ardens préjugés, agiter les questions qui ont jadis passionné la France, et l’examen des divers systèmes d’organisation qu’elle a traversés ne risque d’exciter aucun trouble. Le moment est donc propice pour tout étudier dans le pur intérêt de la vérité. Pour combien de gens les souvenirs mêmes ne sont plus que des abstractions !

Cependant ces sujets n’attirent que faiblement l’attention des jeunes écrivains ; on semble même les éviter, ou ne les aborder qu’à regret et comme quelque chose d’embarrassant ou d’insignifiant qu’il faut laisser aux intéressés. Or de ces intéressés personne n’en veut être, si le passé n’y oblige. Quelques-uns même trouvent moyen de se soustraire à l’obligation. Ce n’est pas encore une fois que la discussion soit interdite. L’abstention est toute volontaire ; on se tait par indifférence et non par crainte. On semble regarder comme un danger ou une duperie de s’exposer à savoir où est en politique la vérité. Bien des enfans se soucient peu de connaître ce que leurs pères ont voulu. Que la révolution française ait bien ou mal fait, peu leur importe. Quelques-uns vont plus loin : ils retournent aux idées opposées en principe à toutes les opinions modernes, et par une réaction vers le XVIIe siècle ou quelquefois jusqu’au moyen âge, ils cherchent à ruiner tous les motifs qu’a pu avoir la France en 1789 de changer de gouvernement. Beaucoup d’autres, découragés et moqueurs, n’opposent à toute théorie politique que le scepticisme, et professent sur les choses humaines l’insouciance de Salomon et l’épicurisme d’Horace. Enfin parmi ceux-là même qui, loin de s’inscrire contre l’esprit des temps nouveaux, s’en donnent au contraire pour les hérauts et les messagers, parmi les partisans des transformations les plus radicales de la société, c’est une mode que de montrer un grand dédain pour l’ancien libéralisme, et le système représentatif n’est plus qu’un roman bourgeois, une chimère prosaïque, indigne d’occuper un moment le génie humanitaire. En tout, on aime à trouver que les hommes et les choses ont fait leur temps ; on déclare volontiers arriérés tous les anciens. À l’aspect de quelques conversions imprévues ou de quelques mouvemens rétrogrades, on se hâte de s’écrier que tout est changé. La terre tourne, dit-on, elle montre une face nouvelle. Les préjugés des vieux partis sont des curiosités historiques. Ce serait un stupide entêtement, une routine aveugle que de parler à la France d’aujourd’hui le langage qu’elle écoutait il y a trente ans.