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un être déterminé quelconque? M. Hegel voit bien que l’être pur sans détermination est un être qui n’en est pas un, un être qui est un vrai non-être; mais comment de cette identité de l’être et du non-être peut-il tirer le devenir, das Werden, j’entends un devenir réel et effectif?

2° Comment peut-on donner l’être sans pensée à l’être pensant, non-seulement comme son principe, mais comme sa fin; non-seulement comme sa cause, mais comme son modèle? Car Dieu, c’est tout cela. Le Dieu que l’humanité adore n’est pas seulement la cause première d’où elle vient, mais le modèle qu’elle se doit proposer, et avec lequel elle se doit tenir en une perpétuelle communication par l’amour et par la prière. Or comment aimer et prier ce qui n’est ni intelligent ni libre, ce qui soi-même est dépourvu d’amour? Ah! quel Dieu, mes amis, qu’un Dieu sans conscience, sans intelligence, sans liberté, sans amour! Qu’est-ce que ce Dieu-là auprès de Socrate, qui, le sachant et le voulant, meurt pour rendre hommage à la vérité, auprès de Caton, préférant une heure de liberté à une longue vie, que dis-je? auprès de la pauvre femme qui, agenouillée, prosternée sur la pierre d’une église de village, offre à son Dieu ses souffrances et ses combats intérieurs, dans le sentiment obscur et confus du saint idéal auquel elle aspire, de la justice, de la bonté, de la perfection infinie qu’elle voudrait imiter et qu’elle désespère d’atteindre? Le Dieu du panthéisme peut être le Dieu de ce rocher devant lequel je passe; il n’est ni le Dieu des héros, ni celui de ma mère, ni le mien : il m’est étranger, il m’est inférieur; il n’est pas seulement pour moi comme s’il n’était pas, puisqu’il ne peut pas m’entendre; il est à mille degrés au-dessous de moi dans l’échelle de l’être, s’il est vrai, comme je le sens ou plutôt comme je le sais, certissima scientia et clamante conscientia, que le premier degré de l’être, sa perfection est la plus haute liberté, la plus vaste intelligence et l’amour le plus tendre comme le plus désintéressé.

Mais cet être en soi, cet être pur, cet être absolu sans qualité et sans détermination, est-ce bien un être pour qu’il soit le principe de l’être? N’est-ce pas un fantôme que l’on se forge à plaisir, un dieu de l’école, aussi vain que le vain royaume sur lequel il règne?

Perque domos Ditis vacuas et inania regna?


Il n’y a pas d’être réel sans qualité et sans détermination. Je suis moi, non-seulement par la substance de mon être, mais par les propriétés dont cette substance est douée, la sensibilité, la volonté, l’intelligence. L’être que je suis, je ne l’atteins qu’indirectement, avec et par les facultés qui le caractérisent à la fois et qui le manifestent. Sans ces facultés, il ne me serait rien, il ne serait même rien en lui--