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M. Jacobi, l’immense avantage d’être dogmatique, de croire à la raison, et c’est par là qu’elle m’attire. Mais d’un autre côté ce nom de philosophie de la nature me plaît assez peu : il marque bien un retour vers la réalité, mais vers quelle réalité? Celle du monde; j’avoue que celle de l’âme et celle de Dieu m’importent bien davantage. On peut dans l’école révoquer en doute l’existence du monde, mais hors de l’école ce doute n’est qu’une chimère peu dangereuse. L’idéalisme de Berkeley et de Fichte n’est pas l’écueil de notre siècle. Les hommes de notre temps ne sont guère tentés de ne pas croire à leurs sens et aux objets de ces sens. Au moyen âge, une philosophie de la nature eût été une belle chose. Roger Bacon en avait conçu la pensée au XIIIe siècle, il l’enseigna même quelque temps à deux pas de ma rue Saint-Jacques, dans la chaire de ce couvent des Franciscains qui occupait une partie de la rue de l’École-de-Médecine, et dont l’église subsiste encore à moitié. Ramener au sentiment de la nature les esprits que l’Itenerarium mentis ad Deum enlevait au neuvième ciel par tous les degrés de la méditation, de la prière, du silence, de l’extase, c’était là une entreprise nouvelle et hardie que Roger Bacon a payée du repos de sa vie et d’une longue captivité, mais qui a mis son nom parmi les noms immortels. Au XIXe siècle, la philosophie de la nature de M. Schelling rappelle involontairement le traité de la Nature de Robinet, l’Interprétation de la Nature de Diderot, et Dieu veuille que tout ce naturalisme n’aboutisse pas au Système de la Nature du baron d’Holbach ! Il serait triste que cette philosophie allemande si vantée ne fût qu’un retour laborieux et ténébreux à la philosophie légère des encyclopédistes. Quelle humiliation pour l’orgueil de l’Allemagne, et quelle mystification pour moi, qui serais venu chercher à grands frais, à trois cents lieues de ma patrie, ce qu’hélas! j’y ai rencontré dès les premiers pas de ma carrière, ce que je me propose de combattre jusqu’à mon dernier soupir!

La philosophie de la nature admet l’existence réelle de l’homme, celle du monde et celle de Dieu. Fort bien; mais Spinoza aussi reconnaissait ces trois existences : seulement il se trompait sur leur vrai caractère et sur leurs rapports. Suivant Spinoza, l’homme n’est pas libre, car sa volonté n’est qu’une transformation du désir. Or, sans la liberté, que devient la personne humaine? D’autre part, le dieu de Spinoza est une substance et non pas une cause; il n’est pas plus libre que l’homme; il n’a pas fait l’esprit et la matière, mais l’esprit et la matière sont ses formes coéternelles. Elles sont en lui et il est en elles, mais hors d’elles il n’est pas; il n’est donc pas en lui-même et pour lui-même; il n’est point une personne, un être réel et déterminé qui se connaisse et connaisse les autres; non.