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philosophie de la nature. Plus tard il y a joint une imitation du mysticisme de Bœhme et de Saint-Martin, et le voilà maintenant un des coryphées du catholicisme bavarois[1]. M. Le docteur Passavant, pour me séduire à la philosophie de son maître et me montrer son orthodoxie, m’a prêté un petit écrit français de M. Baader sur l’eucharistie. Je n’ai fait que le parcourir à la hâte, mais je suis forcé de dire que ce petit écrit m’a paru un chef-d’œuvre d’extravagance. On y dit que l’eucharistie est un préservatif réel, physique et moral contre le démon, qui mange le corps et boit le sang, c’est-à-dire l’âme. Eva nous perdit, Ave nous sauve, car Ave, c’est Eva retourné. Que dites-vous de ce christianisme?

M. Le docteur Passavant explique le péché originel d’une façon très bizarre. Il admet la préexistence des âmes, et pour lui, Adam n’est pas l’idéal de l’homme parfait, c’est la personnification de la matière. Les esprits que nous sommes ont donc péché dans Adam, c’est-à-dire dans la matière, et pour cela ils sont tous punis. C’est ainsi qu’Adam nous a perdus, et nous portons aujourd’hui la juste peine de ce péché originel. M. Le docteur Passavant, ainsi que M. Manuel, voit partout des preuves du péché originel contracté par tous et puni dans tous. Nous étions des anges, des êtres supérieurs qui nous sommes abaissés nous-mêmes vers les choses de la terre, et Platon a entrevu la doctrine chrétienne. Quant à Dieu, on ne peut trop se pénétrer de ces paroles de saint Paul : « Nous vivons en Dieu et nous nous y mouvons. » La croyance en Dieu est la croyance primitive; elle précède celle du moi, car le moi n’est concevable que l’apporté à Dieu. — Oui, sans doute, le moi n’est bien et parfaitement concevable que rapporté à Dieu ; mais, pour connaître Dieu ou quoi que ce soit, il faut aussi se connaître soi-même. La connaissance de Dieu ne peut donc précéder celle du moi, elle la suit; tout au plus peut-on admettre que ces deux connaissances sont presque contemporaines : elles se supposent, se soutiennent et s’achèvent l’une l’autre.

M. Passavant ayant souvent employé dans la conversation le mot de révélation, je lui ai demandé s’il admettait une révélation particulière autre que la révélation faite une fois pour toutes au genre humain. Il m’a dit qu’oui. — Socrate a-t-il connu cette seconde révélation? — Oui. — Et Confucius? — Aussi. — Mais la révélation dont vous me parlez n’est donc pas la révélation de Jésus-Christ. Est-ce alors une révélation personnelle, faite à quelqu’un de privilégié, par une grâce spéciale? — Point de réponse intelligible.

  1. M. Franz Baader est né à Munich en 1765, et il était en 1817 membre de l’académie des sciences de cette ville.