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délibéré, souscrivît, par ses principaux membres, l’engagement d’accepter sans réclamation la personne que le nominateur désignerait de sa seule et pleine volonté. L’engagement fut souscrit séance tenante, et l’assemblée renvoyée au lendemain, pour connaître le jugement de l’évêque de Clermont. Il était tard, et Sidoine, dont le choix était fait depuis longtemps, et qui avait vu avec plaisir son petit conseil d’évêques s’y rallier, courut se renfermer dans sa maison, afin de composer le discours qu’il devait tenir le lendemain matin, et pour lequel, en retranchant le temps indispensable au sommeil, il ne lui restait plus que quatre heures. Un discours à faire n’était pas une petite chose pour le poète illustre qui, sous la chape et la mitre, ne renonçait ni à sa réputation d’écrivain ni à ses prétentions d’homme d’esprit. Il savait fort bien que ce discours serait écouté, colporté, lu dans toute la Gaule avec un empressement curieux, et que les gens du monde, les clercs et les littérateurs de profession le commenteraient, le disséqueraient à qui mieux mieux. L’évêque se mit donc au travail pour cette œuvre précipitée. « Si le temps me manqua, écrivait-il quelques jours après à son ami et correspondant Perpétuus de Tours, l’indignation de ce j’avais vu me vint en aide. »


III

Le lendemain matin, Sidoine, au milieu d’un profond silence, prononçait le discours suivant, qui n’est assurément pas le détail le moins curieux de ce petit drame électoral :

« Nous lisons dans l’histoire profane, mes très chers frères, qu’un certain philosophe, avant de montrer à ses disciples la science de parler, leur enseignait la patience de se taire, de sorte qu’on débutait par un mutisme de cinq ans dans une école où l’on ne s’épargnait ensuite ni paroles ni disputes. Cette méthode avait un double avantage : d’abord elle prémunissait les génies trop précoces contre le danger des louanges prématurées, puis elle faisait qu’on écoutait avec attention celui qui ouvrait la bouche après une si longue taciturnité ; c’était là le prix de son silence, car il n’y a pas moins de mérite à se taire sur ce qu’on ne sait pas qu’à parler plus tard sur ce qu’on sait.

« Quelle autre condition vous me faites, mes très chers frères, à moi que vous forcez d’être maître quand je devrais être disciple ! Vous m’êtes venu chercher au plus profond des gouffres du siècle, non-seulement pour m’imposer le poids du sacerdoce, mais encore pour me rendre l’arbitre d’une élection. Voici en effet que, pour me faire mieux sentir mon impuissance, vous me remettez par un décret