Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne voudrais ni analyser, ni motiver cette impression. Les procédés particuliers de l’exécution, les altérations qui en sont résultées, les retouches nombreuses dont parle la tradition et que constatent les habiles, tout cela rendrait probablement inexact ou contestable tout ce que je pourrais dire. Je ne sais par exemple si, comme on le raconte, le Christ a été fort modifié ; mais ce que je puis dire, c’est que les tableaux sont rares où le Sauveur me paraisse heureusement peint. C’est presque toujours un personnage manqué, ou qui semble impossible. Comme il importe à tout sujet où il figure, on s’en contente. Le Jésus-Christ du Cenacolo est comme un pastel effacé, et malgré cela, qui sait? à cause de cela peut-être, cette tête, faiblement indiquée, à demi détruite, n’en exprime que mieux l’existence à peine matérielle d’un personnage incomparable et son humanité divine. Avec une suavité qu’on ne peut rendre, avec une indifférence sublime, avec je ne sais quel mystérieux mélange de charité et de dédain, il semble contempler tous les maux et toutes les merveilles qu’il annonce. Il est au-dessus et de la passion et de la vie. C’est la figure d’un homme et la nature d’un Dieu.

J’ai lu souvent que la Cène de Léonard était le chef-d’œuvre de la peinture. Ce sont là de ces choses que je n’oserais pas répéter; mais je n’ai rien à dire contre.

En revenant de Sainte-Marie-des-Grâces, on passe naturellement par la place des Marchands et le Corso del Broletto. Là on voit réunis, dans un petit espace, quatre ou cinq monumens de l’existence ducale et municipale de Milan. Son Palais de la raison, nom très honorable des hôtels de ville dans la Haute-Italie (et puisse le mériter la résidence de toute assemblée délibérante), est du XIIIe siècle. Il impose par sa masse, soutenue tout entière, comme une table sur ses pieds, par d’assez minces colonnes. D’autres établissemens locaux, plus remarquables d’architecture ou d’ornementation, tous d’un style déjà ancien, mais élégant, distraient les regards, jusqu’à ce qu’on se trouve vis-à-vis de la célèbre cathédrale.

Sa façade, dans la forme générale déjà indiquée, est, encore plus que celle de l’église de Côme, ornée de sculptures plaquées à la surface, et l’absence des grands reliefs de l’architecture est compensée par la profusion de ceux de la sculpture. Là encore les styles sont un peu mêlés, mais en général le gothique domine. Depuis le commencement de notre siècle, on n’y travaille plus que dans ce genre, car on travaille encore à la cathédrale de Milan. Elle n’est pas finie. Le président De Brosses écrivait au siècle dernier : « A peine y a-t-il une troisième partie de cet immense édifice qui soit faite depuis plus de trois cents ans qu’on y travaille, et quoiqu’il y ait tous les jours des ouvriers, il ne sera probablement pas fini dans