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Turin. Sans être un des plus beaux de l’Italie, ce musée mérite plus d’une visite, et je me décide à en parler.

On ne peut écrire sur l’Italie sans parler des arts, et l’on ne devrait point parler des arts sans s’y connaître. Cependant je ne m’en tairai point. Les arts ne s’adressent pas seulement aux connaisseurs. C’est par ceux-ci que leurs ouvrages sont le mieux jugés et même le mieux sentis; mais les arts ont, comme toutes les sortes de vrai et de beau, un côté populaire. Les représentations théâtrales ne se donnent pas uniquement devant les académies. On trouve bon que toute personne en juge, et que chacun dise pourquoi il admire Corneille ou s’amuse de Molière. Je crois bien que les lettres sont plus à la portée de la foule que les arts; la pensée écrite l’est pour tout le monde, quoique le talent d’écrire ne soit pas le métier de tout le monde. La langue la plus éloquente doit se faire entendre au premier venu, car enfin chacun sait parler. Le langage de la peinture et même de la musique n’est point le commun langage, et l’on peut admettre que pour le comprendre il soit besoin de savoir un peu le parler ou du moins comment il se parle. Cependant tous les arts reproduisent la nature, si bien qu’on a cru parfois les définir en les appelant des arts d’imitation. Ils imitent la réalité en la combinant avec la beauté, c’est-à-dire en réunissant ce que la sensibilité perçoit avec une chose que l’intelligence reconnaît. Or le dernier des hommes a la sensation du réel et la conception du beau, et les arts seraient un jeu puéril et mensonger, s’ils ne s’adressaient à ces facultés universelles, s’ils n’étaient une invention humaine qui prend dans la nature son principe et son but. Il y a donc quelque chose de commun entre l’artiste et la foule, et pas moins que les Sophocle et les Aristophane, les Ictinus et les Phidias acceptaient le jugement de la démocratie d’Athènes. Osons donc ne pas nous récuser absolument en présence d’un beau tableau; mais, sans taire notre avis ou notre impression, ayons soin d’ajouter humblement que la part technique de l’exécution dans l’œuvre des arts est tellement difficile et tellement importante, qu’il n’appartient d’en raisonner avec une justesse décisive qu’au critique instruit dans les secrets du métier.

La galerie de Turin a été formée en 1832 de tableaux épars dans les résidences royales. Elle en contient beaucoup de très bons, peu de célèbres. Celui de la Vierge à la Tente est tout près de l’être, s’il est un original de Raphaël; malheureusement il a ses deux pareils à Munich et en Espagne, et Passavant le regarde comme une copie. Même à titre de copie, c’est encore une belle chose, moins belle que la Vierge à la Chaise, moins belle que la Madone de saint Sixte, mais qui les peut égaler? Ce sujet simple et inépuisable de la