Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands périls. Le gouvernement piémontais est plutôt un peu au-delà qu’en-deçà de la nation. Ses lumières devancent l’opinion; ses progrès ne sont pas des concessions. Il ne se consume point dans une guerre de chicane avec le public, se laissant arracher le bien qu’il fait, disputant sur les réformes, résistant avec obstination pour céder avec faiblesse. Il marche en avant de la société. La position de gouvernement réformiste, quand elle est possible, est le meilleur préservatif des révolutions. L’Angleterre et la Belgique l’ont encore une fois prouvé en 1848.

Signalons une autre cause de sécurité. La nation piémontaise se croit réservée à de grandes choses. Elle est pleine d’ambition et d’espérance. Oui, que la France le sache, il y a encore des nations pleines d’ambition et d’espérance. Or celle-ci est persuadée, et elle a raison, qu’en cela son roi sent et pense comme elle. La grandeur de la maison de Savoie se confond à la fois, comme but et comme instrument, dans les pensées et les projets de la royauté et du pays. Le Piémont croit que cette grandeur est au premier rang des intérêts de l’Italie entière. C’est là un lien de plus, et le plus intime comme le plus honorable des liens, entre la dynastie et la nation. C’est la plus forte des garanties de leur union. En s’attachant à l’ordre et à la stabilité, le Piémont travaille donc pour sa gloire future. Son orgueil est du côté de sa loyauté.

Le roi Charles-Albert n’était pas un homme ordinaire. Je doute que ce fût un esprit très étendu, un politique très habile, un fort attrayant caractère; mais il avait des traces de grandeur, un vif sentiment de nationalité, quelques qualités héroïques, la faculté du dévouement. Qu’on le remarque bien, ce n’est pas 1848 qui l’a de force porté à la tête du mouvement italien : il s’y est porté de lui-même. Par une résolution spontanée, il a changé la face de son royaume, en cela guidé certainement par l’ambition et le patriotisme plus que par le goût de la liberté: mais qu’importe? Il a reconnu l’occasion, et il l’a saisie; il a compris les signes des temps dans cette critique année 1847, si grosse de présages et d’enseignemens tristement méconnus par de plus habiles, pour l’éternel regret des amis de l’humanité; puis, une fois lancé dans une voie redoutable, rien ne l’a effrayé, rien ne l’a découragé. Les jours révolutionnaires sont venus, il n’a point lâché son drapeau; il n’a ni déserté ni reculé. Je l’ai dit, il y avait en lui du héros. S’il eût été général comme il était soldat, que n’aurait-il point fait? Il a fait ce qu’il pouvait faire. Il me souvient encore de la manière dont on jugeait en France sa conduite à cette époque, surtout sa seconde campagne, celle qui se termina dans les plaines sanglantes de Novare : c’était un coup de tête ou une faiblesse; il cédait au torrent, il marchait en désespéré. Soit, la vic-