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originalité est une chimère, la tradition nous prévient nécessairement en tout, et le monde ne peut recommencer à chaque génération. Nous ne pouvons tous, les uns après les autres, nous réveiller au premier matin dans l’Éden, et il faut nous résigner à penser ce qu’on nous a dit. Ceci n’est point une préparation pour protester contre la réputation faite de l’Italie. J’aime l’admiration, une de nos plus heureuses, de nos plus nobles facultés, et quand elle est autre chose qu’un engouement de commande ou un enthousiasme d’emprunt, le temps la fortifie au lieu de l’affaiblir. Elle ne se blase point. Je trouve même que la réalité des belles choses est supérieure à l’imagination, et en tout j’ai plus senti que je n’avais rêvé. L’amour de la liberté, l’héroïsme guerrier, l’art des Grecs, la poésie d’Homère, la philosophie de Platon, les tragédies de Shakspeare, tout ce qu’on voudra de pareil ou d’égal conserve, malgré l’abus des louanges banales, des droits inaltérables aux plus vives émotions que le beau puisse exciter. En ce genre, la faiblesse ou l’excès ne me choque point : je pardonne même le ridicule, et je suis prêt à dire comme Bélise :

Laissez-nous, s’il vous plaît, le plaisir d’admirer.

J’admire donc l’Italie; mais il faut convenir qu’il y a dans toute admiration reçue une part de convention et d’exagération qui impatiente. Une des choses qui font le plus de tort à la vérité, c’est la quantité incroyable de mauvaises raisons dont on l’appuie. On traite le beau comme la vérité, et l’on ne sait pas le louer sans lui prêter toute sorte de mérites qu’on invente ou qu’on surfait. On se forge des règles pour approuver, des formules pour sentir. On vante ce qui n’est pas ou ce qui ne devrait pas être, pour avoir l’air de mieux voir ou de mieux juger. On s’exalte sur des détails, sur des défauts, sur des vulgarités qu’on retrouverait partout si l’on se donnait la peine de les chercher, et l’on réussit de la sorte à décréditer l’admiration même en la motivant mal, en l’appliquant à contre-sens, en l’exprimant outre mesure. C’est, par exemple, ce qui est arrivé à la littérature classique de la France, et ce que pourrait ramener la superstition du XVIIe siècle, comme quelques-uns l’entendent aujourd’hui. Les vérités se rouillent, plongées dans le lieu commun, et le beau perd sa forme, réfléchi dans le miroir grossissant de la déclamation.

Je voudrais donc parler tout naïvement de ce que j’ai vu de l’Italie : non que j’aie la moindre envie de prescrire mes jugemens et de dicter rien à personne, mais pour encourager la liberté de sentir, pour exciter à la spontanéité des appréciations, pour engager à être vrai.