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clare que je gémis profondément sur les déplorables circonstances qui me forcent à accepter la haute mission qu’ils me confient, et dont j’espère me montrer digne. » Au demeurant, le duc d’Orléans était roi pour sauver le pays de la république ; par lui, les événemens de juillet conservèrent un caractère purement libéral. Toute la politique nouvelle était là. C’est cette origine que M. de Nouvion a voulu remettre en lumière. Après Louis-Philippe, nul peut-être ne personnifie mieux cette révolution de 1830 que Casimir Périer, et l’existence du ministère qui prit le nom de ce valeureux chef est sans nul doute un des plus émouvans, un des plus virils spectacles qui puisse s’offrir dans l’histoire d’un peuple. Au milieu des agitations et des luttes qui suivent une grande secousse, Casimir Périer traçait véritablement le programme du règne en faisant face à tous les partis, en contraignant l’émeute à plier sous son indomptable vigueur, en rétablissant la discipline dans une administration ébranlée, en envoyant avec cela une armée en Belgique. On peut concevoir bien des manières de sauver la société ; on ne disconviendra pas qu’il n’y ait quelque grandeur dans ces luttes que retrace l’historien du règne de Louis-Philippe, et où l’on voit un homme énergique rallier par l’action et par la parole toutes les forces conservatrices autour d’un drapeau qui est resté debout dix-huit ans. Cette halte a duré dix-huit années en effet, mais ce ne fut qu’une halte, et l’histoire dira comment le régime de 1830, après avoir triomphé par la lutte, a succombé lorsqu’il semblait le moins menacé.

Dans ce courant des événemens contemporains, où à des intervalles égaux trois grands gouvernemens ont péri par des catastrophes différentes, il y a un mot commode dont on se sert volontiers pour tout expliquer : ce mot, c’est la force des choses, philosophie singulière qui exige peu d’efforts, et qui permet surtout de voir passer d’un œil paisible les révolutions. On ne voit pas que ce qu’on nomme la force des choses n’est, à tout prendre, que l’imprévoyance et la faiblesse des hommes, ainsi que cela a été dit ; faiblesse qui se déguise souvent, qui peut même prendre des noms pompeux, et qui n’est pas moins toujours la faiblesse. C’est sous la force des choses que succombait l’empire, dira-t-on. Il est vrai, tout se réunissait pour accabler une grande fortune ; mais, ainsi que le démontre suffisamment M. Thiers, lorsque Napoléon parcourait l’Europe en conquérant, il était libre de contenir l’effervescence de son génie et de limiter sa politique à ce qui était possible, il pouvait même en 1813 accepter une grande paix. S’il ne l’a pas fait, il s’est décidé dans la plénitude de son intelligence, et si plus tard il s’est trouvé en face de circonstances plus puissantes que lui, ce n’est pas sous une fatalité aveugle qu’il pliait, c’est sous le poids des erreurs de son génie. La révolution de 1830 fut aussi un effet de la force des choses. N’est-il pas vrai cependant, comme l’histoire l’atteste, que durant quinze années tous les partis s’acharnèrent à préparer la catastrophe, les uns en méconnaissant et en violant tous les instincts de la France moderne, les autres en allant recueillir toutes les haines, toutes les hostilités, tous les ressentimens, même les plus injustes, pour les faire éclater sous les pas d’un gouvernement que plus de sagesse aurait fait vivre avec profit pour le pays et pour la liberté ? Et en 1848 il y eut aussi sans doute la part de la force des choses. Il reste seulement à expliquer cette force des choses elle-même et cet abandon soudain d’un gou-