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pays n’en est plus à nourrir des sentimens de jalousie, qui trouveraient ici un trop douloureux aliment. Renfermée dans sa vie intérieure, la France ne voit pas se multiplier les événemens aujourd’hui. Les événemens sont de l’ordre le plus simple et le plus pratique. Un des faits les plus actuels est la session des conseils généraux, qui vient d’avoir lieu. Sans être investis d’attributions politiques et sans avoir une juridiction directe en dehors du cercle des affaires locales des départemens, les conseils généraux ont du moins la mission ou le droit d’émettre des vœux sur tout ce qui intéresse le pays, sur tout ce qui peut servir au développement de la prospérité publique. Les conseils généraux, cette année comme les années précédentes, ont émis des vœux de ce genre. Beaucoup se sont montrés notamment disposés à appuyer de leurs manifestations un projet qui, par son caractère et ses résultats, est, à vrai dire, l’affaire de tous les peuples : c’est le percement de l’isthme de Suez. Lord Palmerston a laisse éclater dès le début une hostilité singulière contre ce projet d’origine française, et le chef du cabinet de Londres a reçu bientôt des événemens eux-mêmes une réponse aussi imprévue que décisive : cette réponse, c’est l’insurrection de l’Inde qui s’est chargée de la donner. Il n’est point douteux que si l’Angleterre avait pu expédier ses forces militaires par l’Égypte au lieu de les envoyer par le Cap, elle aurait gagné un temps précieux, et se serait trouvée plus rapidement en mesure de défendre son empire oriental. Cela prouve simplement le caractère d’utilité générale qu’il y a dans cette œuvre, appuyée par un certain nombre de conseils généraux français. Sur d’autres questions, les opinions sont partagées dans les assemblées départementales ; il en a été ainsi spécialement au sujet de l’établissement des caisses d’assurances agricoles. Enfin le conseil général du département de l’Hérault a émis son vœu habituel en faveur de la liberté commerciale, tandis que dans le Nord un vœu tout contraire a été exprimé. Dans leur ensemble, les travaux des conseils de département deviendraient aisément un curieux sujet d’analyse.

L’histoire actuelle fuit d’un vol rapide ; les événemens se succèdent, les conjectures vont plus vite encore, au risque de se perdre dans le vide ; tout se précipite vers l’inconnu, et tandis qu’on marche vers cet avenir voilé, le passé que ne connaissent pas toujours ceux mêmes qui l’ont vu, le passé se relève lentement derrière nous avec ses malheurs, avec ses gloires et toutes ses réalités irrévocables, qui sont autant d’enseignemens lumineux. Le premier empire, la restauration, la monarchie parlementaire de 1830, toutes ces époques qui se suivent à si courte distance sans se ressembler, et dont chacune représente une idée distincte, un ordre de choses différent, deviennent un objet permanent d’étude. M. Thiers publie le seizième volume de son œuvre éminente sur l’ère du Consulat et de l’Empire. M. de Beaumont-Vassy écrit une Histoire de mon Temps, qui va de 1830 à 1851, avec le désir d’être instructif. Un autre écrivain, M. Victor de Nouvion, vient de commencer à son tour le récit des mêmes événemens depuis la révolution de 1830, qui fut la chute de la restauration, jusqu’à cette autre chute de 1848, que M. Granier de Cassagnac décrivait récemment en y ajoutant l’histoire de la chute de la seconde république. Ainsi, de quelque côté qu’on se tourne dans notre temps, il y a des chutes, et les gouvernemens seraient bien mal inspirés s’ils s’accusaient ou se dédaignaient mutuellement au nom de cette