Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les conjectures commencent ; la distribution des territoires est indubitablement sur le point de subir des modifications profondes, le système des alliances va tout au moins être renouvelé. Ce n’est pas pour rien que des chefs de grands états se déplacent, — et comme personne en vérité ne nous a demandé le secret sur ce qui s’est passé à Osborne ou sur ce qui va se passer à Stuttgart, nous pouvons bien le répéter sans inconvénient, le tenant d’une source authentique, c’est-à-dire des nouvellistes eux-mêmes, fort répandus en ce monde. Comment se fait-il qu’il y ait en certains momens une véritable recrudescence de ces transformations de fantaisie et de cette diplomatie d’imagination ? Voilà peut-être le problème le plus curieux.

Une chose pourrait arrêter cependant, c’est que les versions ne laissent pas quelquefois d’être contradictoires ; elles varient selon que le vent souffle d’Osborne ou de Stuttgart, et sous l’influence de bien d’autres considérations encore. Mais quoi ! cela prouve que la fertilité des inventeurs n’en est pas à une combinaison près pour tracer la route à la politique européenne. — Croyez-vous, dira l’un, que Napoléon III soit réellement allé à Osborne pour régler l’affaire des principautés, ou que cette question ait été l’unique objet de l’entrevue de l’empereur des Français et de la reine de la Grande-Bretagne ? Au premier aspect, c’est là effectivement ce qui est le plus visible. L’Angleterre s’est ralliée à la politique de la France à Constantinople, au risque d’imposer à lord Stratford de Redcliffe l’amer déplaisir de se contredire à peu de jours de distance ; mais au fond il s’agissait de bien autre chose : vous n’en êtes point à savoir que l’Europe est travaillée de vieux malaises ; toutes les situations sont contraintes. Le droit de 1815 est à demi abrogé après avoir été vingt fois violé ; il ressemble un peu à l’empire ottoman, il n’est debout que parce qu’on ne sait comment le remplacer. Le difficile était de s’entendre et de trouver un terrain où l’Angleterre et la France pussent se mettre d’accord ; on y est parvenu, le reste n’est plus rien. La souveraine de l’Angleterre, comme tout le monde le sait, est mariée avec un prince de Cobourg. Or le secret et invariable désir du prince Albert et de la reine Victoria, c’est de voir la maison de Cobourg devenir maison royale en Allemagne par un agrandissement de territoire. La combinaison est bien simple : en supprimant quelques principautés allemandes, on fera un royaume qui sera donné à la maison de Saxe-Cobourg-Gotha ; le nom même du royaume est déjà trouvé. Remarquez que le prince Alfred d’Angleterre est, par son père, frère du duc actuel, qui n’a point d’enfans, l’héritier du nouveau royaume. Moyennant ceci, la France s’étend jusqu’au Rhin ; tant qu’elle n’a pas cette frontière naturelle, elle est une menace pour l’Europe ; quand elle l’aura, elle sera la première gardienne de l’ordre européen. La Prusse, il est vrai, pourrait avoir quelques objections à faire à ces arrangemens ; mais la Prusse elle-même, vous ne l’ignorez pas, est un état mal composé, vulnérable dans sa longueur ; ses provinces du Rhin sont séparées du reste de la monarchie. Puisqu’on entre dans la voie des médiatisations, la Prusse serait fortifiée par des acquisitions nouvelles ; elle deviendrait un corps plus consistant, plus uni, en même temps qu’elle obtiendrait des ports qu’elle envie, et elle serait satisfaite. Tel est l’objet réel de l’entrevue d’Osborne, et non l’affaire des principautés, question médiocre, résolue on un moment avec un peu de bon vouloir. Aussi ne doutez pas que l’alliance de la France et de