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LA
MUSIQUE EN PROVINCE

AU DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDES.



Monsieur,

La Revue, qui parle de tant de choses, et qui en parle si bien, s’occupe rarement de la province, surtout au point de vue des arts. Est-ce de sa part dédain de grand seigneur, et pense-t-elle, comme beaucoup de gens, qu’il n’y a d’activité intellectuelle, d’esprit, de goût et d’aimables loisirs qu’à Paris, et que hors de ce centre merveilleux tout est perdu fors l’honneur, l’ennui, l’agriculture et les mécaniques ? Est-il vrai, comme je l’entends dire depuis longtemps, qu’une nation compacte, de plus de trente millions d’habitans, est condamnée à recevoir d’une seule et grande cité, que les hasards de l’histoire lui ont donnée pour capitale, toute sa vie spirituelle ? La province ne peut-elle- avoir ses poètes, ses philosophes, ses peintres et ses musiciens, qui"ne sortent pas de la grande officine où s’élaborent presque tous les élémens de la civilisation nationale ? Enfin faut-il en croire un penseur allemand, qui a dit, il y a déjà une trentaine d’années, que la France lui faisait l’effet d’une grande ferme, d’un vaste atelier, chargés de pourvoir aux besoins matériels de Paris, le cerveau, le cœur de la nation ?

Soyez tranquille, monsieur, je ne veux pas, à propos de chansons, soulever le problème si souvent discuté de la centralisation et de ses abus. Si Paris est le foyer de la vie nationale, pour ne pas dire de l’Europe tout entière, ce n’est pas la faute de Rousseau, de Voltaire, ni de l’assemblée constituante. Après beaucoup d’autres écrivains, M. de Tocqueville a prouvé récemment, dans son livre ingénieux sur la France ancienne et moderne, que la centralisation administrative et judiciaire était l’œuvre séculaire de la monarchie. Ne voit-on pas, à partir de Philippe-Auguste et de saint Louis, tous les grands hommes d’état, tels que Louis XI, Henri IV, Richelieu et Louis XIV, s’efforcer