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vos pères vénérés. Je vous prie et je vous ordonne que chacun dans son diocèse veille sévèrement à la rigoureuse observation de la trêve. Désormais celui qui vivait de brigandage deviendra le champion de Dieu ; celui qui guerroyait contre ses frères et ses parens combattra dans une guerre juste contre les infidèles. » Et s’adressant à la féodalité : « Vous qui opprimez les orphelins, qui pillez les veuves, qui égorgez les chrétiens, qui souillez les temples et foulez aux pieds tout droit divin et humain, retirez du fratricide vos mains ensanglantées ; combattez, non plus vos frères en la foi, mais les races étrangères, comme une sainte et invincible armée du Christ. » Et voyez comme les temps sont changés, quel essor avait pris la théocratie, quelle puissance elle avait tirée de ses services ! Cinquante ans auparavant, faible, interrompue et dispersée, la trêve de Dieu cherchait et trouvait difficilement un appui dans les bons sentimens de quelques personnages choisis ; elle avait besoin d’eux non-seulement pour se faire obéir, mais pour exister. Maintenant le prêtre non-seulement envoie toute la féodalité au-delà des mers ; mais lui qui n’était pas en sûreté contre elle dans les chemins ni dans ses églises, il la protège désormais, il garantit aux croisés leurs propriétés pendant leur absence. « Nous les prenons sous notre protection, dit le concile ; nous défendons qu’ils soient inquiétés dans leur personne ni dans leurs biens ; nous garantissons la paix à leurs propriétés et à leurs revenus. » La trêve avait donné le peuple à l’église ; elle doit compter parmi les principales causes qui fondaient la théocratie du moyen âge. La théocratie a son temps, comme les autres formes de la société, et la première chose à faire pour la repousser quand elle n’a plus sa raison d’être, c’est de rendre pleine justice aux grandes œuvres qu’elle a su accomplir dans les temps qui avaient besoin d’elle.

Nous avons vu, dans cette seconde époque des guerres privées, la trêve instituée, développée et généralisée. Dans la troisième, la trêve continue à se foudre dans le mouvement des choses ; mais les choses ont changé de nature, et la modifieront en conséquence. La société civile, si longtemps défaillante et convulsive, est revenue à elle-même ; elle s’appuie encore sur la religion, qui l’a soutenue dans sa défaillance, mais elle reprend la direction de ses affaires. La royauté, parmi ces institutions qui renaissent, est la plus apparente. Outre son riche domaine, la royauté s’est fait une plus riche clientèle de communes qui lui demandent leurs chartes de libertés ; elle aura bientôt un parlement qui, se démembrant du conseil royal pour rendre la justice, saura bien par le civil pénétrer dans la politique, évoquer les causes qui touchent à l’ordre public, et démolir les fiefs pour élever le trône. L’œuvre de la paix va donc passer en d’autres