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sortie tout à coup d’un cloître ou d’une cathédrale, qui se pose sans autre titre qu’elle-même, et qui s’en va par le monde sous forme de circulaire, caractérise bien cette époque, où les lois ne sont rien, où le génie et le cœur sont tout ! Mais qui donc obéira à de pareilles prescriptions ? Est-ce que ces hommes de fer, trempés pour les batailles quotidiennes, rapaces, acharnés, vont couper court tout à coup à leur vengeance, renoncer à une entreprise commencée, quitter une embuscade, interrompre le siège presque réussi du donjon ennemi, parce qu’ils entendront, le mercredi soir, la cloche qui sonne la trêve de Dieu ? Est-ce qu’ils déposeront, à heure dite, leur colère pour quatre jours, en attendant le cinquième pour la reprendre ? Est-ce qu’ils partageront la semaine en deux moitiés, l’une pour le meurtre et l’incendie, l’autre pour la pénitence ? Oui, ils feront ainsi, sinon tous et toujours, au moins dans le plus grand nombre des cas. D’un côté, leur nature est indomptable ; de l’autre, leur foi est vive : ils voudraient bien, s’ils le pouvaient, faire plier l’une devant l’autre, mais ils ne le peuvent pas encore, et en attendant mieux, ils transigeront avec Dieu, lui feront loyalement sa part dans leur vie, et garderont le reste pour la guerre.

Ce phénomène historique est étrange ; il s’explique pourtant par la puissance de l’éducation première, lorsqu’elle s’est emparée surtout de l’imagination. Il est impossible de mieux démontrer que par un pareil fait combien un culte extérieur, pompeux, varié, dramatique, législation symbolisée, est fort pour subjuguer et conduire les barbaries les plus résistantes. Ce que les civilisateurs de la haute antiquité avaient compris et pratiqué dans des circonstances à peu près semblables, le christianisme le répétait avec le même succès par des moyens analogues, et pour une civilisation plus parfaite. Qu’on remarque en effet par quels motifs touchans le prêtre chrétien, en consacrant à la paix plusieurs jours de la semaine, parvenait à remuer la conscience de ses rebelles auditeurs. L’année chrétienne est comme un cercle de sainte poésie, qui chante dans tout son cours le drame sacré de l’Évangile et la vie entière du Christ sauveur. Chaque fête est comme l’un des chants de ce divin poème. On trouvait donc dans le mystère de chaque fête consacrée au dieu de la paix de nouvelles raisons et de nouvelles émotions contre les crimes de la guerre. Quelqu’un eût-il osé piller les pauvres ou verser le sang de ses frères lorsque le temple retentissait des hymnes de Noël, et célébrait le Dieu né dans l’étable, parmi les pauvres, pour sauver tous les hommes, — tuer au moment même où il était mort pour nous sur la croix, — se souiller d’infamies lorsqu’il ressuscitait dans sa gloire ? Les mêmes raisons s’appliquaient à la semaine, dont les jours rappelaient les divers actes de la passion. Ainsi chaque