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cantons ; les grands feudataires ne se liaient point entre eux ; les vassaux de la couronne abandonnaient même la cour du roi, aimant mieux régner dans leurs vastes possessions ; les bourgs n’étaient point encore des communes, et ne renfermaient qu’un amas de serfs aussi misérables que ceux de la campagne. Ainsi aucune force matérielle ne venait en aide à l’œuvre de la paix. Il fallait chercher un à un des protecteurs dans la foule même des oppresseurs ; il fallait obtenir la paix des enfans de la guerre ; c’est assez dire qu’il n’y avait de ressource que dans le sentiment moral quand tout l’étouffait, dans l’amour du bien, toujours si rare et si froid parmi les hommes. Il fallait reconquérir l’homme sur lui-même : l’église seule pouvait tenter une semblable entreprise ; mais ce qu’il y avait de plus déplorable, c’est que, à l’époque où le mal était le plus flagrant, l’église elle-même en était atteinte. Son esprit s’éteignait dans ses ministres. Les seigneurs laïques, guerroyant par habitude et par plaisir, étendaient leurs domaines, en conquéraient d’autres ; ils avaient des enfans à placer ; il leur fallait des vassaux plus nombreux pour tenir tête aux voisins, qui s’arrondissaient de leur côté. L’église ne pouvait défendre elle-même ses propriétés ; ce n’était que par exception, et contrairement aux lois de leur ordre, que les évêques s’encuirassaient et brandissaient la masse d’armes. Elle avait pour protecteurs les patrons et les vidames ; mais ces protecteurs s’habituaient à se considérer comme co-propriétaires ou même comme suzerains des biens dont la défense leur était confiée. Ils altéraient l’organisation élective du sacerdoce ; les rois et les grands vassaux, convoitant ces beaux domaines pour leurs enfans, ou voulant en faire la récompense de fidèles serviteurs, imposaient aux diocèses et aux abbayes des évêques et des abbés indignes, ignorans, gens de guerre ou de chasse, des enfans mêmes. L’éducation intellectuelle faisait place aux exercices du corps, à la fainéantise et à tous les vices ; la vie religieuse s’évanouissait ; le lien moral qui faisait de l’église une puissance à part destinée à ranimer la société se relâchait ; les assemblées ecclésiastiques devenaient rares ; la papauté n’avait point encore cette puissance de régénération qu’elle devait acquérir un peu plus tard. Cette corruption ecclésiastique semblait emporter toute espérance, toute possibilité de retremper la nation dans de meilleures mœurs ; elle encourageait le désordre par un exemple sacré, dont la fureur brutale des seigneurs laïques se prévalait. « Les prêtres eux-mêmes, est-il dit dans l’un des canons d’un concile de ce temps, qui devraient retrancher dans les autres cette gangrène, pourrissent sur le fumier de la luxure, et, non contens de leur perdition ignominieuse, ils flétrissent même les bons prêtres d’une réputation infâme, en faisant dire aux gens du siècle :