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rectifient la fable soient anéantis : vous verrez, avant qu’il soit peu, le moyen âge sculpté et gravé partout sous l’image d’un dualisme allégorique, d’un combat entre le bien et le mal. Et comme ces opinions contraires qui bataillent dans le passé ne sont au fond que la question de la révolution française agitée par la partialité et par les ressentimens posthumes, nous aurons une mythologie de la révolution. Chacun embellira de plus en plus l’apothéose des siens, et renforcera la caricature de son contraire : d’un côté, quelque chose comme Osiris ou Rama, avec les attributs divins ou héroïques ; de l’autre, le Typhon d’Arabie ou les singes du Décan, affreux et grotesques ; seulement pour les uns le monstre ce sera la révolution, pour les autres l’ancien régime, et réciproquement. Voilà où aboutirait l’histoire, si elle pouvait encore, comme dans les anciens âges, courir jusqu’au bout de cette pente du mensonge poétique ; mais si l’extrémité ne peut plus être atteinte, la direction est néanmoins suivie ; le principe de la partialité subsiste, et c’est assez pour que la critique réclame sans cesse au nom de la bonne foi et de la dignité de l’histoire.

C’est un travail difficile que d’exposer une époque selon la vérité. Il ne suffit pas de rapporter des faits exacts : il faut tenir compte de tout, et néanmoins choisir, il faut surtout conserver les vraies proportions du bien et du mal. C’est peu encore : il faut apprécier l’un et l’autre d’après les causes, les circonstances, les difficultés, car de là dépendent tous les mérites. Le moyen âge fut plein de misères : mauvaises institutions, tyrannies locales pesant sur la tête du peuple, coutumes de hasard ou originaires de la barbarie, guerres civiles, pouvoirs anarchiques, crimes et brigandages de toutes sortes. Certes il faut obéir à un parti pris bien aveugle pour trouver là-dedans des motifs d’admiration et de panégyriques, et pour vanter cette époque aux dépens de la nôtre ; mais est-il plus sage d’en parler avec amertume et injure, et de rendre les hommes de ce temps responsables des calamités qu’ils subissaient tous ? Le moyen âge sortait de la conquête barbare ; celle-ci fut amenée par la corruption et le despotisme de l’empire romain, et ainsi de suite. À qui reprocher ces causes générales qui entraînaient tout, si ce n’est aux vices inhérens à l’humanité ? Considérons d’ailleurs que ces misères profondes se sont graduellement allégées et guéries, que les institutions se sont transformées, que les mœurs se sont adoucies. Et puis tous ces progrès ne se sont pas accomplis d’eux-mêmes, des hommes y ont travaillé au sein même de cette époque tant noircie. Il y avait donc un levain généreux qui fermentait dans la masse informe et tumultueuse ; il y avait un mouvement contraire à celui qui avait tout bouleversé et confondu ; il y avait des amis de l’humanité