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ruines et de ténèbres que le célèbre naturaliste déclarait infranchissable. Que dis-je ? Pour l’école de Lyell, aujourd’hui dominante dans la Grande-Bretagne, il n’y a plus ni monde anté-diluvien ni monde post-diluvien : il n’y a qu’une action continue des causes naturelles qui renouvellent peu à peu en détruisant. Les changemens de la vie avant, durant et après l’époque glaciale ont été graduels et non soudains, de sorte que l’on ne peut établir de ligne de démarcation entre l’existence des créatures qui ont peuplé alors la mer ou la terre. Ce qu’on avait pris d’abord pour un abîme n’est pas même une limite. Les grands éléphans de la fin du pliocène ont erré durant des siècles sous les arbres aujourd’hui communs en Angleterre, le sapin d’Écosse, le bouleau, le pin de Norvège. D’après nos idées actuelles sur les mœurs et sur la distribution locale de ces gros animaux, il est difficile de comprendre une telle association de faits ; mais les naturalistes ont reconnu que l’éléphant britannique, le grand hippopotame [hippopotamus major), le rhinocéros et les autres colosses éteints avaient appartenu à des familles différentes de l’éléphant, de l’hippopotame et du rhinocéros vivans, qui habitent aujourd’hui près des fleuves exempts de glace et dans des contrées où la température se maintient à peu près la même durant toute l’année. Or tel n’était déjà plus le climat de l’Angleterre, même avant l’époque du grand refroidissement. Plus tard, ces animaux disparurent lentement et à mesure que les conditions nécessaires à leur existence se retiraient. Tout pourtant annonce qu’ils ont résisté, durant une certaine période, à l’invasion croissante d’une température sévère ; les mammouths, revêtus de poils longs et chauds, le tigre, le singe lui-même, se soutinrent quelque temps ; mais le froid augmentant toujours avec l’océan de glace qui montait comme une ceinture autour des côtes rétrécies, inondées, la force des choses décréta l’extermination de ces créatures étrangères désormais à leur propre climat. Encore les animaux de l’ancien monde n’ont-ils point tous péri : les espèces locales qui s’éteignirent furent celles dont l’organisation ne put s’accommoder aux changemens de climats ; les autres, plus flexibles, réussirent à vivre moyennant quelques concessions de formes. Plusieurs de ces derniers, dont l’existence avait précédé l’homme de quelques milliers de siècles, furent plus tard détruits par l’homme. Un grand ours qui ravageait et inquiétait les hauteurs de l’Écosse fut exterminé sur ces montagnes depuis les temps historiques. On connaît la date à laquelle furent tués en Angleterre, en Écosse et en Irlande le dernier loup et le dernier sanglier. Ainsi deux causes ont concouru à l’extirpation des sauvages habitans de l’ancien sol britannique : l’une, contemporaine, l’abaissement de la température ; l’autre, postérieure, l’avènement de