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Le milieu de la formation tertiaire ou le miocène est peu représenté en Angleterre, si même il existe : les géologues anglais ont comblé cette lacune par les emprunts qu’ils ont faits aux deux hémisphères. On peut voir au British Muséum le modèle d’un énorme squelette de dinothérium et de mastodonte ; mais le cercle d’études que nous nous sommes tracé veut que nous nous renfermions dans l’histoire des faits qui se sont accomplis sur le sol des îles britanniques. Durant cette époque de transition (le miocène), le feuillet du livre de la vie avait été retourné par le souffle du temps. De nouvelles créatures avaient vu le jour. Les anciens lacs convertis en rivières abreuvaient de nombreux mammifères. Leur règne est enfin arrivé. L’ère des quadrupèdes a suivi, comme celle des reptiles, une marche d’accroissement. D’abord ils déposent sur le sol britannique leur carte de visite, selon l’expression d’un géologue anglais ; un peu plus loin, on perd leurs traces, mais ils se remontrent, et alors la terre est à eux. Nous avons vu qu’une espèce animale avait imprimé sa forme à chaque époque : l’âge du pliocène fut l’âge des éléphans. Aujourd’hui on ne trouve d’éléphans en Angleterre que dans le jardin zoologique de Regent’s Park ; mais autrefois ces masses vivantes erraient par troupeaux. De gigantesques éléphans, ayant deux fois le volume des plus gros individus qui existent maintenant à Ceylan et en Afrique, ont traversé les forêts britanniques, ont nagé dans les rivières et les lacs, ont frotté leurs défenses aux arbres fossiles qu’on retrouve dans cette contrée. Si nous en jugeons par l’abondance de leurs débris, l’existence de ces grands animaux fut longue, et leur nombre prodigieux. Sur la côte nord du comté de Norfolk, les pêcheurs, en draguant des huîtres, rapportèrent sur le rivage, dans l’espace de treize années (1820 à 1833), deux mille dents molaires d’éléphans, sans compter un grand nombre de défenses et des fragmens de squelettes. On a calculé que ces débris ne devaient point avoir appartenu à moins de cinq mille mammouths d’origine britannique. Si l’on considère avec quelle lenteur ces animaux se reproduisent, de telles carrières d’ivoire, comme on les a appelées, font supposer que des milliers de siècles ont vu naître et mourir ces générations de colosses. Les mêmes lacs et les mêmes rivières étaient occupés en même temps par des hippopotames aussi massifs et pourvus de défenses aussi formidables que ceux qui habitent maintenant les solitudes africaines. À côté d’eux, le rhinocéros à deux cornes se frayait un chemin à travers les sombres bois, ou se vautrait royalement dans les marais sous un toit de verdure. Trois espèces de bœufs sauvages, dont l’un était tout velu et portait une crinière, bondissaient dans l’étendue des plaines. Des cerfs gigantesques, relativement aux espèces vivantes, étaient les compagnons