Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déroulait moelleusement sur l’autre rive ses anneaux blanchâtres, et le mouvement de la locomotive rappelait au sein de la solitude l’idée d’une grande ville : c’était Londres qui passait. Si vous suivez la route jusqu’à Gravesend, la scène gagne encore en variété : sur votre droite s’enflent comme d’énormes champignons des protubérances crayeuses dont le dôme ou le chapeau supporte des bois, des villages, des habitations d’été ; à gauche s’étendent des champs de houblon, ces vignes du nord, ces thyrses saxons, mêlés à des forêts de cerisiers ou d’autres arbres à fruits, entrecoupés de prairies, dans lesquelles de jeunes filles aux bras nus, de petits chapeaux rabattus sur la figure, fanent l’herbe fauchée. Sur tout le chemin s’élèvent des églises, des écoles, des cottages, les uns rustiques et blancs de craie, les autres bâtis avec des briques, ou mieux encore avec des cailloux ronds, encadrés dans des reliefs en bois, selon le style du temps d’Elisabeth. De distance en distance, le bourrelet de terre qui cache la Tamise se déchire, et entre les ouvertures vous découvrez de vastes plaines vertes et plates, d’anciens marais, qui rappellent les polders de la Hollande avec leurs troupeaux de bœufs. À Gravesend, un jardin de plaisir, Rosherville-Gardens, a été planté dans une ancienne carrière de craie ; les roches blanches, fouillées autrefois par le marteau, se dressent fièrement comme les murs d’une citadelle en ruines au milieu d’une forêt d’arbres. De ces hauteurs, la vue domine un horizon magnifique : le fleuve qui approche de son embouchure se contourne en une sorte de golfe dans lequel les navires ouvrent comme de grands oiseaux de mer leurs ailes tissées par la main de l’homme. De Gravesend à Rochester et de Rochester à Maidstone, la scène change de caractère : elle était gracieuse, elle devient grandiose. La ville de Rochester, ainsi que son vieux château normand, — un des plus beaux monumens historiques de la Grande-Bretagne, — s’élèvent sur les bords de la Medway, auxquels s’adosse un groupe de montagnes d’une allure plus décidée, qui sortent pour ainsi dire de la rivière, et dont les flancs blanchâtres sont revêtus d’une végétation amaigrie ; mais c’est surtout vers les côtes de la Manche que les masses de craie solide se développent en une chaîne de falaises, auxquelles la vieille Albion doit d’être ainsi appelée. Ces roches d’un aspect neigeux, visibles à une distance considérable, ont servi depuis un temps immémorial de point de mire pour guider les marins vers les côtes de l’Angleterre. Margate, où l’on prend les eaux de mer, et dont les salles de bain, clifton baths, ont été creusées dans la masse de craie, avec des passages caverneux et des chambres souterraines, est déjà un type de cette formation qui s’étend de montagnes en montagnes, entrecoupées par de brusques ravins. C’est par un jour d’orage qu’il faut voir ces entassemens de craie, blancs sous le ciel noir et de temps en temps