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nord de l’Écosse, le vieux grès rouge est le cadre dans lequel les roches cristallines se trouvent enserrées, ou, pour mieux dire, c’est le rude manteau jeté sur les épaules de ces géans. Une telle association d’antiquités donne à cette contrée un aspect saisissant. À l’est et à l’ouest des côtes, la région présente dans certains endroits un ensemble sauvage et désolé : à voir ces montagnes brisées, fracassées, séparées par de sombres et profonds ravins, on dirait les déchirures et les crevasses d’une planète en ruine. Si l’on interroge l’âge de ces montagnes, l’intérêt que présentent les scènes merveilleuses de la nature s’associe bientôt à la contemplation historique des temps. La chaîne du Grampian, une des montagnes de l’Écosse, composée de gneiss et de granit, mais entourée d’une ceinture de vieux grès rouge, est plus ancienne que la chaîne des Alpes, des Apennins, des Pyrénées et des Carpathes. À l’époque où elle fut soulevée, la plus grande partie de l’Europe n’était encore qu’un vague océan.

Dans la Grande-Bretagne, chaque province géologique a son historien : on s’est partagé le vieil empire de Neptune. En Angleterre MM. Murchison et Sedgwich, en Écosse M. Hugh Miller, se sont attachés aux monumens de l’âge dévonien. Après avoir passé sa jeunesse à errer dans les rochers et les forêts, à lire les livres curieux, à glaner les vieilles histoires et les vieilles traditions, ce rêveur entra, vers l’âge de vingt ans, comme ouvrier dans une carrière. Quelle occupation pour des mains jusque-là désœuvrées que ce rude métier de carrier déclaré par le poète national Burns le plus dur de tous les durs états ! Et pourtant c’était là que l’attendait le livre des faits naturels, dont il devait être un jour l’un des meilleurs interprètes. La carrière dans laquelle il travaillait s’ouvrait au sud d’une baie formée par l’embouchure d’un fleuve ; un clair courant d’eau d’un côté, un bois épais de l’autre, en défendaient l’entrée. C’est dans le silence de ces ruines qu’il vit tomber, au milieu des éclats du vieux grès rouge, les fossiles de l’âge dévonien. Le marteau de l’ouvrier devint ainsi une baguette magique à l’aide de laquelle l’apprenti géologue fit revivre la population éteinte des mers dont ces vieilles roches ont conservé l’histoire[1]. Il reconnut que les fossiles du vieux grès rouge étaient très nombreux et beaucoup mieux conservés qu’on ne l’avait cru d’abord ; qu’ils s’élèvent

  1. Il y a ceci de remarquable : William Smith, l’historien du système oolithique, était né en Angleterre sur la terre typique de l’oolithe ; sir R. Murchison, l’auteur de Siluria, a reçu le jour au nord de l’Écosse, parmi les plus anciennes roches fossilifères ; Hugh Miller, lui, avait erré tout enfant sur le vieux grès rouge. Le berceau de ces trois géologues a pour ainsi dire fixé le choix de leurs études. Aux facultés du géologue, Hugh Miller associait les instincts de l’artiste. On peut seulement lui reprocher des tendances mystiques. Sa fin a été tragique : il s’est suicidé dans un instant de délire.