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à des apaltateurs, sorte de fermiers-généraux, qui se chargeaient d’en opérer le recouvrement. Leur avidité était grande et presque sans frein. On ne payait pas le droit à la porte de la ville, au moment où, la marchandise reconnue, les quantités vérifiées, la somme à prélever déterminée, l’importateur est encore libre de se soustraire à un impôt qui lui paraît trop élevé en renonçant à franchir l’entrée. On acquittait les taxes à l’intérieur, alors que la marchandise, ayant été introduite dans la ville et ne pouvant plus échapper au droit, se trouvait à la merci de l’apaltateur. Tous les genres de fraude, d’arbitraire étaient employés pour tirer du contribuable beaucoup plus qu’il ne devait. En réalité, les marchandises, au lieu du douzième, payaient le quart et même le tiers de leur valeur. Les apaltateurs s’enrichissaient ; l’impôt, tout exorbitant et vexatoire qu’on l’avait rendu, ne produisait que fort peu ; le commerce était entravé.

Il fallait, ou bien réformer le système de perception, ou supprimer l’impôt même. C’est à ce dernier parti que le vice-roi s’est définitivement arrêté. En changeant le mode de recouvrement de l’impôt, en substituant la perception en argent à la perception en nature, le vice-roi décrétait, par le fait, l’abolition du monopole qu’avait exercé Méhémet-Ali, et l’affranchissement de la culture et du commerce. Du moment qu’on exigeait de l’habitant le paiement de ses contributions en espèces, il fallait de toute nécessité le laisser libre d’échanger ses produits contre de l’argent. Dans la pensée de Saïd-Pacha, les deux réformes étaient la conséquence l’une de l’autre. Il les a opérées simultanément.

Nous ne reviendrons pas sur les abus du monopole tel que l’avait organisé Méhémet-Ali. Ce système, a été souvent exposé, et nous en avons rappelé les principaux traits. Le pacha en tirait un revenu considérable ; mais le monopole entraînait la ruine infaillible des cultivateurs, il eût fini même par les condamner à la famine, si les fellahs n’avaient pas été habitués à une grande frugalité, et si leurs besoins n’avaient pas été très faciles à satisfaire. Un paysan égyptien peut vivre sans dépenser plus de dix centimes par jour. La prodigieuse fertilité du sol, l’étendue des terres cultivables, contribuaient d’ailleurs à maintenir à flot les cultivateurs les plus industrieux ; mais il est incontestable que, sous un pareil régime, la population ne pouvait qu’être très misérable.

Quant au but principal que poursuivait le vice-roi, et qui était de faire rendre à l’Égypte autant de produits agricoles qu’elle en pouvait donner eu égard à la population, il était complètement atteint. En effet, des terres laissées jusqu’alors sans culture étaient ensemencées ; des produits négligés sous le gouvernement des mameloucks