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célébrer publiquement l’office divin, d’après le rite catholique, sans trouble, sans gardes, au milieu d’une population gravement curieuse, mais nullement hostile. L’esprit de tolérance du pacha éclate dans une série d’actes qu’il serait trop long de rapporter. Il suffit de dire par exemple que son fils reste confié aux soins d’une femme anglaise. Ajoutons que Mohammed-Saïd a tout récemment accordé des faveurs spéciales aux sœurs de la charité qui sont établies à Alexandrie, où elles se vouent à l’instruction et au soulagement des pauvres. Enfin il a nommé un chrétien gouverneur du Soudan, et il a reconnu récemment le droit qu’ont les soldats égyptiens d’exercer publiquement la religion chrétienne ; il leur a même garanti toute la protection qui leur est due dans l’accomplissement de leurs devoirs religieux.


II

La réforme opérée par Saïd-Pacha dans le régime de la propriété et de la culture des terres a toute l’importance d’une réforme sociale. À notre avis, il n’y a pas d’aiguillon plus puissant de transformation morale et de progrès chez un peuple que la propriété. Le désir d’acquérir, de conserver et d’améliorer le bien acquis est un des plus énergiques mobiles de l’activité humaine. En Égypte, pays tout agricole, l’ambition de posséder de la terre doit être ou deviendra certainement un sentiment très vif. Pourquoi les états où le servage existe n’arrivent-ils pas à toute la prospérité que leur promet la richesse de leur sol ? pourquoi les pays cultivés par le travail des esclaves ne jouissent-ils jamais d’une complète sécurité, et pourquoi la moralité de la population est-elle généralement inférieure ? C’est que ces institutions forcent la nature, qui proteste sans cesse au fond de tous les cœurs.

Si c’est un sentiment très développé chez l’homme que sa prédilection pour tout ce qui lui appartient, son indifférence pour tout ce qui est possédé par autrui n’est pas moins grande : ni peines, ni fatigues ne coûtent à un propriétaire pour faire fructifier son champ ; mais lorsqu’il s’agit de cultiver celui d’un autre, tout soin devient pénible. Jusque dans les plus froides régions du nord, où la rigueur de la température fait à l’homme une loi tout hygiénique du mouvement et du travail, les populations réduites en servage se font remarquer par leur apathie. À plus forte raison en Orient, où le climat invite à la paresse, les peuples sont-ils difficilement assujettis à un labeur ardent et assidu, à moins que l’intérêt ne les aiguillonne.

Malheureusement l’Égypte, au temps de Méhémet-Ali, n’était pas