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Une seule fois depuis son avènement, Saïd-Paclia s’est vu dans l’obligation de réprimer énergiquement des tentatives de déprédation renouvelées par des tribus qui, se méprenant sur le caractère du vice-roi, croyaient pouvoir reprendre leurs anciennes habitudes sans s’exposer au châtiment. Après avoir fait leur coup, les voleurs s’étaient retirés dans le désert. Saïd-Pacha les y a fait poursuivre ; plusieurs ont été pendus, d’autres incarcérés, quelques-uns internés dans la zone des terres cultivées, où, de brigands qu’ils étaient, ils deviendront des habitans utiles au pays commun et des cultivateurs aisés. Cet exemple a éclairé ceux qui avaient pris la modération du vice-roi pour un manque d’énergie, et les velléités de pillage ont été promptement étouffées.

Nous venons de passer en revue les réformes que Mohammed-Saïd a sagement opérées dans l’administration politique, judiciaire et militaire depuis son arrivée au pouvoir. Le peuple égyptien mérite, il faut le dire, la sollicitude dont il est l’objet. On accuse les fellahs d’Égypte d’être une race légère et cupide : il y a du vrai dans ce reproche ; mais ces défauts, qu’il ne faut pas d’ailleurs exagérer, sont compensés par des qualités remarquables, et tiennent peut-être plus à des circonstances regrettables, à l’influence d’un système oppressif par exemple, qu’au génie national. Comment s’étonner qu’un fellah cache son argent, simule la misère, lorsqu’il échappe à peine aux actes de corruption administrative et aux malversations qui étaient autrefois de règle parmi tous les fonctionnaires du gouvernement, et qui faisaient en quelque sorte partie de leurs émolumens ? Certes, quelle que soit la fermeté avec laquelle le vice-roi poursuit la suppression de ces abus, quelle que soit l’efficacité des mesures qu’il a prises pour atteindre ce résultat, ce serait trop dire que d’affirmer qu’il n’en reste plus de traces. C’est déjà beaucoup que la corruption ait appris à rougir ou plutôt à craindre, et qu’elle ait cessé de marcher le front levé. On ne transforme pas les hommes aussi rapidement que les choses. L’influence d’un mauvais régime, qui a duré pendant des milliers d’années, ne s’efface pas en quelques mois. Les fellahs sont restés avides, parce qu’ils ont été trop longtemps misérables. Quand on songe que c’était un point d’honneur parmi eux de ne payer leurs contributions qu’après avoir reçu des centaines de coups de bâton ; quand on sait que, tout mutilés sous l’impitoyable courbache, ils gardaient jusqu’à perte de sentiment, entre leurs dents serrées, la pièce d’argent qui eût mis fin à leur torture, on se dit que la tyrannie de leurs anciens maîtres a dû leur imposer de bien cruelles misères pour qu’ils aient fini par attacher tant de prix à l’argent et qu’ils l’aient défendu avec cette résignation stoïque qui est la force des victimes, et qui leur donne souvent l’avantage sur leurs bourreaux.