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le moudyr exerçait dans les limites de son gouvernement une autorité presque sans bornes et tout arbitraire. La plupart de ces agens supérieurs étaient ignorans, inhumains et corrompus. Leur administration ne tendait qu’à un double but : conserver la faveur du vice-roi en lui dissimulant les vices de leur administration, et augmenter leur fortune par tous les moyens. La prospérité du pays, le bien-être des habitans, l’assainissement du territoire, l’entretien des canaux, les travaux des routes, n’étaient point l’affaire des moudyrs ; ils ne s’en préoccupaient nullement. Fournir les hommes demandés pour le recrutement de l’armée, faire rentrer à tout prix les contributions, c’est à quoi se bornait la sollicitude de ces gouverneurs. Depuis la mort de Méhémet-Ali, cet état de choses ne s’était pas amélioré, bien au contraire. Les moudyrs avaient conservé des traditions de violence, d’oppression et de rapine ; ils étaient demeurés peu accessibles aux idées d’amélioration et de progrès. Mohammed-Saïd était donc exposé à voir ses intentions méconnues, ses ordres éludés, ou exécutés incomplètement et avec répugnance. Il a résolument rompu cette entrave : la charge de moudyr a été supprimée. Quand l’état n’y aurait gagné que de mettre un terme à des malversations scandaleuses, cette mesure serait parfaitement justifiée.

En passant des moudyrs aux fonctionnaires inférieurs, l’autorité prenait un caractère plus despotique encore. En fait d’oppression, la plus élevée est toujours la meilleure. La tyrannie qui est en contact journalier avec la population, et qui intervient dans les moindres détails de la vie de chacun, est la plus insupportable de toutes. Le cheik-el-beled, ou chef de village, étant le dernier des tyrans auxquels obéissaient les habitans, était donc aussi le plus malfaisant. Sous le règne de Méhémet-Ali, tout se faisait par son intermédiaire. Le vice-roi avait-il besoin de soldats, l’ordre de lever des hommes était transmis par les moudyrs aux chefs des villages, et ceux-ci désignaient sans contrôle et sans appel les fellahs qui devaient marcher pour rejoindre le drapeau : pouvoir exorbitant dans un pays où la corruption règne comme le fruit naturel d’une longue oppression ! Ceux que le cheik-el-beled désignait pour le service militaire étaient surtout ceux qui ne pouvaient pas payer pour en être exemptés. Il va sans dire que les fils des cheiks échappaient toujours à la nécessité de porter le mousquet. De même, quand il s’agissait de presser le recouvrement des impôts, le cheik-el-beled indiquait ceux qui devaient être principalement poursuivis, ceux qui devaient abandonner au fisc leurs bestiaux, unique propriété du fellah, dernière ressource pour la culture de son champ. La cupidité, l’inimitié, toutes les mauvaises passions trouvaient à se satisfaire par l’exercice d’une telle autorité. Les habitans les plus aisés, ceux qui, moyennant finance, savaient se