Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les branches de connaissances qui convenaient à son rang, mais d’avoir encore développé en lui le goût de la civilisation européenne et les sentimens élevés dont il a fait preuve depuis son avènement. Méhémet-Ali destinait son fils Saïd à la marine. L’éducation du jeune prince comprit donc non-seulement l’étude des langues européennes, mais aussi les mathématiques et la navigation. En 1838, un écrivain qui ne pouvait prévoir que Mohammed-Saïd régnerait jamais sur l’Égypte disait, en parlant de ce prince : « Son éducation s’est faite en mer, destiné qu’il est depuis l’origine au commandement naval. Ce jeune homme a développé de bonne heure une aptitude singulière. Entouré à son bord d’enfans de son âge, tous pris dans la classe du peuple, nourri et élevé comme eux, il rappelle sous un rapport le jeune Sésostris, à qui son père avait donné pour condisciples des Égyptiens de tout rang, nés le même jour que lui, et qui furent pendant toutes ses expéditions des compagnons vaillans et fidèles. » Mohammed-Saïd n’a pas eu cependant le même avantage que l’illustre souverain à qui on le comparait. Ce qu’il y a au contraire de plus sensible en Égypte, c’est l’insuffisance du nombre des hommes assez éclairés et assez intelligens pour seconder un prince tel que lui. Déjà Méhémet-Ali avait eu plus d’une occasion de regretter ce défaut de concours, provenant chez les uns d’un esprit de résistance au moins passive à toute espèce de réforme, chez les autres du manque de capacité. Mohammed-Saïd, à part quelques exceptions remarquables, est à peine mieux partagé, et il est obligé, comme son père, non-seulement de concevoir, mais d’exécuter presque seul le bien qu’il veut faire.

Quand il arriva au pouvoir, Saïd-Pacha trouva l’œuvre de civilisation commencée par son père fort compromise, en pleine décadence. Il dut la reprendre en sous-œuvre. Les temps d’ailleurs étaient changés : il ne s’agissait plus de conquérir un royaume, de fonder une dynastie, mais de continuer une grande réforme intérieure. Son attention se porta d’abord sur l’organisation administrative établie par Méhémet-Ali. Mohammed-Saïd ne la modifia pas sensiblement, il fit mieux : sans changer essentiellement les attributions des fonctionnaires, il s’appliqua à les empêcher d’en faire un mauvais usage. Certes beaucoup d’abus subsistent en Égypte, mais beaucoup aussi ont été réformés. La pensée qui a dicté ces améliorations a été de mettre autant que possible le gouvernement suprême, c’est-à-dire le souverain lui-même, en contact avec ses sujets, de manière à les faire profiter directement de ses bonnes intentions.

Le fonctionnaire qui entravait principalement l’action directe du pouvoir central était le gouverneur de province ou moudyr. À l’exception du droit de vie et de mort, qui appartenait au souverain,