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une tâche inabordable. Et pourtant, par la force des choses et à mesure que le décret de 1808 reçoit une application plus étendue, la mendicité émigré des départemens où son poids était le moins sensible sur ceux qui peuvent le moins la supporter. Voilà une singulière loi d’équilibre, et les effets en seraient bien plus fâcheux, si des mesures de police n’agissaient vigoureusement en sens contraire.

Ce qui ressort le plus clairement de tout ceci, ce sont les difficultés inhérentes à l’exécution du décret du 5 juillet 1808. Un fait non moins caractéristique, c’est qu’après un demi-siècle d’existence, ce décret ne régit que le quart environ de nos départemens. Dans toute notre législation charitable, on retrouve cette circonstance d’une application partielle et restreinte. Comme les dépôts de mendicité, les bureaux de bienfaisance, tels que les ont constitués les lois de l’an II et de l’an V, n’embrassent et n’assistent qu’une partie de la population. On sait ce que sont ces bureaux et dans quel cadre leurs fonctions s’exercent. Chacun d’eux se compose de cinq membres dont les services sont gratuits, et d’un receveur chargé de la responsabilité financière. Ces membres ont pour auxiliaires naturels toutes les personnes qui dans la commune veulent se dévouer aux bonnes œuvres, hommes, femmes, membres du clergé, sœurs hospitalières. Quant aux ressources des bureaux, elles se composent, aux termes de la loi, des biens donnés anciennement aux pauvres, des dons et legs nouveaux, du produit concédé sur les prix d’entrée aux spectacles et divertissemens publics, des sommes votées par les conseils municipaux, du montant des souscriptions et des quêtes, enfin des rentes ou pensions dont certains bureaux jouissent. Le tout forme une somme qui s’élèverait, d’après un rapport officiel, à 17,381,257 fr. 08 c, ce qui équivaut en moyenne à 12 fr. 50 c. par chaque individu assisté. Encore existe-t-il de bureau à bureau et de commune à commune des inégalités considérables. En prenant les points extrêmes, tel bureau, comme celui de Paris, portera ses recettes à 2,294,364 fr. 55 c ; tel autre, comme celui de Saint-Ythaire (Saône-et-Loire), ne percevra que 51 centimes. À Martignat dans l’Ain, la moyenne du secours se réduira à 1 centime par tête ; elle montera à 899 fr. 15 c. à Montbéliardot dans le Doubs : proportion dérisoire d’un côté, exorbitante de l’autre.

Le rapport dont nous parlons abonde en pareils renseignemens et jette un grand jour sur ces questions délicates. On y voit où nous en sommes, après tant de sacrifices et d’efforts, dans le domaine de la charité légale, et il y a lieu de s’étonner du peu de progrès accompli. Sur nos 36,820 communes, on n’en compte que 9,336 qui soient pourvues de bureaux de bienfaisance, avec 1,329,655 indigens inscrits ; encore ne peut-on pas prendre au sérieux 1,062 bureaux qui ne possèdent rien, et 1,000 autres qui n’ont pas 100 fr.