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plus sûrs, plus simples et moins fastueux. Au lieu de ce convoi de cinq cents voiles, essuyant toutes le même risque et arrivant toutes à la fois, il eût divisé ses arrivées et ses risques, de manière que les marchés fussent constamment pourvus et n’éprouvassent pas l’alternative d’une extrême pénurie et d’une extrême abondance ; mais il eût fallu que l’action officielle s’effaçât devant l’action privée, lui laissât quelque ressort en lui offrant quelques avantages. Rome ne l’entendait pas ainsi, et sous ce rapport, comme sous beaucoup d’autres, nous sommes encore bien Romains.

Sous les empereurs de la décadence, cette question des subsistances ne lit que prendre un caractère plus grave pour l’armée comme pour le peuple ; il ne semble plus rien y avoir en dehors de la munificence et des libéralités du souverain. On les multiplie à l’infini et sous les formes les plus variées, — le congiaire au peuple, le donatif à l’armée. Ces libéralités ne sont pas toutes volontaires ; un jour c’est la soldatesque qui se plaint, l’autre jour c’est la multitude qui s’insurge ; il faut acheter à prix d’argent le concours de l’une et la soumission de l’autre. Pas un empereur qui échappe à ces tributs forcés, et ils ont beau faire, jamais les largesses ne sont à la hauteur des exigences. Pour une prétention satisfaite, il en naît vingt autres plus impérieuses. Comment s’y dérober ? Le pouvoir est à l’enchère, citoyens et légionnaires en disposent en faveur du plus offrant et lui dictent ensuite la loi ; s’il résiste, on le brise et on traite de ses dépouilles avec un maître plus généreux. L’empereur est responsable de tout ; il est responsable des récoltes, de la régularité des saisons, des rigueurs ou de la clémence du ciel. La multitude attend de lui ses moyens de vivre. Il doit agir pour elle, prévoir pour elle, ne la laisser dépourvue ni dans ses besoins, ni dans ses plaisirs. Malheur à celui qui retrancherait quelque chose de son pain ou de ses jeux du cirque ! Aucun empereur n’y songe ; tous s’inclinent devant cette mendicité turbulente. Auguste, pour célébrer sa victoire sur Antoine, élève au quadruple la distribution des denrées ; Tibère crée une banque de prêts gratuits ; Caligula donne deux fois à la populace un congiaire de 200 sesterces par tête, 79 fr, de notre monnaie. Jusqu’alors, le blé seul avait été livré à titre gratuit ; on en fait autant pour le sel, pour la viande, même pour les vêtemens. Le trésor public est un réservoir où chacun puise, et qui est le siège d’un pillage régulier. Aussi que d’efforts pour le remplir ! que d’exactions dans les provinces ! que de confiscations, que de violences, que de meurtres pour nourrir ces milliers d’oisifs et de factieux ! Cela dura jusqu’au jour où les Barbares marchèrent sur Rome, et ne trouvèrent de résistance sérieuse ni dans ses soldats mercenaires, ni dans ses citoyens avilis.