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risque de ne rien saisir avec vigueur. Ces distinctions, ces divisions, cette alliance si impartiale des contraires, finissent par ne laisser dans l’esprit qu’une sceptique indifférence. C’est alors que l’art vient au secours de l’écrivain, et que le théologien, comme on l’a dit, se transforme en un virtuose. M. Renan appartient à ce petit groupe d’hommes d’élite qui cherchent la vérité avant le succès ; plus l’artiste est brillant chez lui, plus le théologien doit se défier de l’artiste.

Ces conseils prouvent la haute estime et, si je l’ose dire, l’affectueuse sollicitude que m’inspire le talent de M. Ernest Renan ; ils prouvent aussi ma foi dans les immortelles destinées du christianisme. Je ne suis pas de ceux qui ont peur de la science ; je me fie à la Providence divine comme à la destinée humaine, et quels que puissent être les résultats de la critique, je suis assuré d’avance qu’il n’en peut rien sortir de funeste aux intérêts les plus sacrés de la conscience. Cette histoire des idées religieuses, qui sera un des titres du XIXe siècle, réveillera au fond des âmes le sentiment de l’infini. Quand M. Renan a débuté dans cette voie, il était poussé par une inspiration hostile ; à chaque pas qu’il y a fait, il a conçu de la religion un idéal plus élevé, et il en est venu à proclamer qu’elle est le sublime et indispensable couronnement de la vie morale. Un développement analogue a eu lieu en Allemagne. M. Strauss, imposant à l’histoire des théories préconçues, faisait violence à la réalité ; M. Baur et M. Ewald ont interrogé les faits avec une curiosité avide, et tous deux, par des méthodes diverses, ont pieusement dégagé des ombres de la légende la figure surhumaine de Jésus. Laissons donc la critique accomplir son œuvre. La religion est aussi indestructible que la philosophie, et il n’est pas plus permis à la raison d’opprimer la foi qu’il n’est possible à la foi d’opprimer la raison. Il n’y a dans ces matières qu’une seule chose condamnable, l’impiété ; gardez-vous seulement de vous méprendre sur la signification de ce mot. La foi peut être impie comme la raison. Une foi mécanique et servile au lieu d’être vivante et libre, une raison indifférente et vulgairement moqueuse au lieu d’être passionnée pour le vrai, ce sont des impiétés de même nature. M. Renan l’a très bien dit, et ses paroles, si on les médite, seront la justification de ses hardiesses devant les cœurs chrétiens : « Rien de plus défectueux que les habitudes de langage qui confondent avec l’irréligion le refus d’adhésion à telle ou telle croyance se donnant pour révélée. L’homme qui prend la vie au sérieux et emploie son activité à la poursuite d’une fin généreuse, voilà l’homme religieux ; l’homme frivole, superficiel, sans haute moralité, voilà l’impie. »


SAINT-RENE TAILLANDIER.