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Je regrette que M. Ernest Renan n’ait pas cru devoir apprécier dans son étude sur les historiens de Jésus le mouvement si remarquable accompli depuis le docteur Strauss[1] ; il y aurait rencontré d’assez graves objections contre quelques-uns des argumens qu’il emploie. Après une exposition du rôle de Jésus humainement expliqué, M. Renan, comme si une secrète incertitude le faisait hésiter encore, se retranche dans l’argument que voici, comme dans une forteresse imprenable : « On me proposerait une analyse définitive de Jésus au-delà de laquelle il n’y aurait plus rien à chercher, que je la récuserais ; sa clarté même serait la meilleure preuve de son insuffisance ! L’essentiel ici n’est pas de tout expliquer, mais de se convaincre qu’avec plus de renseignemens tout serait explicable. » Si M. Renan avait suivi de plus près les travaux théologiques de l’Allemagne dans ces dernières années, il y aurait vu la même manière de raisonner employée dans un sens tout contraire par les écrivains qui sont forcés de reconnaître dans Jésus-Christ une nature supérieure à l’homme. Presque tous semblent dire : Point d’explications ! maintenons le fait, le fait de la venue du Christ, de sa prédication, de son action sur le monde, fait unique dans l’histoire, et inexplicable à la raison bien plus par sa nature même que par l’absence de renseignemens.

Au reste, ce sont là des matières sur lesquelles il est difficile, je ne dis pas de s’accorder, mais seulement de se comprendre, quand on ne part pas des mêmes principes. « Le sens critique, dit M. Renan, ne s’inocule pas en une heure ; celui qui ne l’a point cultivé par une longue éducation scientifique et intellectuelle trouvera toujours des raisonnemens préjudiciels à opposer aux plus délicates inductions. Élever et cultiver les esprits, vulgariser les grands résultats des sciences naturelles et philologiques, tel est le moyen de faire comprendre et accepter les idées nouvelles de la critique. À ceux qui n’ont point la préparation nécessaire, ces idées ne peuvent paraître que de fausses et dangereuses subtilités. » Rien de mieux ; mais s’il est vrai qu’il faut une préparation spéciale pour être initié à la critique, il en faut une bien plus spéciale encore pour toucher à de hautes et mystérieuses questions comme la divinité de Jésus ; cette culture toute spéciale et absolument nécessaire, c’est la vie

  1. Le tableau de ce mouvement vient d’être tracé d’une main vive par un habile théologien, M. Charles Schwarz, à qui l’on doit déjà une belle étude sur le christianisme de Lessing. L’école de Tubingue surtout y est étudiée avec soin et appréciée avec justesse ; mais M. Ewald n’y occupe pas la place qu’il mérite. On trouvera des renseignemens plus complets sur les travaux spécialement consacrés aux Évangiles dans l’intéressant ouvrage de M. Weisse, die Evanyelien frage. Pourquoi M. Weisse, esprit si droit, si consciencieux, ne donne-t-il pas une forme plus nette à sa pensée ? Il devrait se proposer pour modèle l’excellent style de M. Schwarz.