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de circonstance, des œuvres de polémique ? Cette critique de tendance (c’est le nom que se donnait ou se laissait donner l’école de Tubingue) ne devait-elle pas être nécessairement amenée à défigurer les faits ? Il y eut un théologien qui conçut ces objections ; c’était un esprit ardent, qui unissait à une profonde érudition hébraïque et sacrée le sentiment le plus vif des époques religieuses de l’humanité. Les conjectures altières et le ton dogmatique des écrivains de Tubingue l’avaient blessé à la fois comme érudit et comme chrétien ; il protesta, et dans un journal créé tout exprès pour ce dessein, dans maintes dissertations de détail, au milieu même d’ouvrages profondément médités et qui resteront des monumens, il ouvrit contre M. Baur et son école une polémique violente qui passionne en ce moment même toute l’Allemagne théologique. J’ai nommé M. Ewald, l’auteur de cette Histoire du Peuple d’Israël si bien appréciée par M. Renan, et qui a publié plus récemment une Histoire de Jésus et de son temps digne aussi de l’attention la plus sérieuse.

Lorsqu’il sera possible d’écrire l’histoire de l’école de Tubingue, lorsque cette vaillante phalange, aura terminé ses fouilles et sera tombée d’accord sur quelques conclusions certaines, ces deux figures si originales, M. Baur et M. Ewald, malgré l’ardente opposition qui les divise, occuperont une place également belle dans ce mémorable épisode de notre histoire philosophique. Je n’ai pas la prétention d’apprécier en quelques pages un mouvement si considérable ; je veux montrer seulement le progrès que la théologie allemande a su accomplir depuis M. Strauss. La critique a renoncé aux formules préconçues ; elle s’appuie sur l’histoire, sur l’histoire étudiée dans ses plus petits détails, et ce sentiment historique est devenu tellement vif que, si l’école de Tubingue y est infidèle en quelque point, l’école de Goettingue en pousse un cri d’indignation. Je veux signaler surtout un résultat fondamental : toutes ces investigations de la critique la plus hardie qui fut jamais ont abouti à remettre en pleine lumière l’originalité exceptionnelle du rôle qui appartient au Christ. M. Baur comme M. Ewald, et, au-dessous d’eux, M. Volkmar, M. Schwegler, M. Zeller, M. Heiligenfeld, tous enfin, tous ces esprits si résolus sont constamment ramenés à ce point : un personnage a paru dans l’histoire, qui a enseigné une doctrine, sans précédens, qui a produit des œuvres sans aucune analogie dans le passé, auquel enfin on ne peut comparer aucun des personnages de notre race. En vain a-t-on essayé de le confronter avec Bouddha, avec les prophètes hébreux, avec Socrate, avec les saints du moyen âge ; plus on j’examine à cette lumière, plus on le voit grandir et dépasser la mesure de l’humanité. « Croyez-moi, disait Napoléon à Sainte-Hélène, je me connais en hommes, et je vous déclare que Jésus-Christ