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M. Albert de Broglie, dans l’introduction de son histoire de Constantin, peint à larges traits la physionomie des trois grands apôtres du Christ, saint Pierre, saint Paul et saint Jean, il se rencontre sur plusieurs points (et ce n’est pas là un médiocre éloge) avec le théologien de Tubingue. Seulement, chez M. Albert de Broglie, ce n’est là qu’une indication rapide ; chez M. Baur, c’est l’histoire de deux siècles, car l’antagonisme de saint Pierre et de saint Paul, des pétriniens et des pauliniens, c’est-à-dire du christianisme juif et du christianisme des gentils, se prolonge, selon lui, jusque vers la fin du IIe siècle de notre ère. Chacun des évangiles, s’il faut l’en croire, évangiles canoniques ou évangiles apocryphes, a été un des événemens de cette longue lutte que l’école de Tubingue s’est attachée à retrouver avec des efforts inouis de patience et de sagacité. Je dis l’école de Tubingue ; il s’en faut bien en effet que M. Baur soit seul : autour du maître se groupe toute une phalange de vaillans esprits, de pionniers infatigables, MM. Zeller, Schwegler, Ritschl, Planck, Schnitzer, Georgii, Koestlin, Volkmar, Heiligenfeld, qui ont cherché la vérité dans la même voie, tantôt confirmant les découvertes de leur chef, tantôt jetant à bas sans hésiter ses constructions historiques. C’est ainsi que M. Volkmar, pour le dire en passant, est en opposition directe avec M. Baur, quand il fait de l’évangile de saint Marc l’évangile typique sur lequel se sont formés les autres. M. Baur, d’accord ici avec les canons, tient l’évangile de saint Matthieu pour le premier en date. La plus grande liberté, comme on voit, règne dans l’école de Tubingue ; ce ne sont pas des philosophes qui jurent sur la parole du maître, ce sont des théologiens érudits qui prétendent chercher dans les évangiles, dansées actes des apôtres, dans les épîtres de saint Paul, de saint Pierre, de saint Barnabé, dans tous les documens sacrés ou apocryphes, l’histoire des premiers siècles de notre ère, comme Niebuhr et Mommsen ont retrouvé sous les narrations de Tite-Live une partie de l’histoire primitive de Rome[1].

Ce sentiment historique éveillé au sein de la théologie allemande par l’influence de M. Baur était-il assez dégagé de toute théorie préconçue pour servir efficacement la science ? M. Baur et ses disciples n’étaient-ils pas décidés d’avance à voir dans les Évangiles des écrits

  1. Au milieu de tant de travaux sur la période qui a suivi la venue du Christ, on négligeait la période immédiatement antérieure ; ne faut-il pas cependant, avant de rien conclure, savoir exactement quelle était la situation du monde au moment où Jésus commença sa prédication ? Le plus grand théologien catholique de l’Allemagne, M. Doellinger, vient de combler cette lacune. M. Doellinger n’est pas un érudit de seconde main, comme le sont si souvent ses confrères ; sa science est puisée aux sources, c’est le digne adversaire des Baur, des Ewald, et le livre qu’il vient de publier sous ce titre : Paganisme et Judaïsme, introduction à l’histoire du christianisme (1 vol. Ratisbonne 1857), est déjà salué avec une sympathique estime par la critique protestante la plus sévère.