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les différences d’origine, de croyances, d’institutions, s’est soudainement réunie en un seul esprit pour inventer le même idéal, pour créer de rien et rendre palpable à tout le genre humain le caractère qui tranche le mieux avec tout le passé, et dans lequel on découvre l’unité la plus manifeste ? On avouera au moins que voilà le plus étrange miracle dont jamais on ait entendu parler, et que l’eau changée en vin n’est rien auprès de celui-là. »

Ce sont là de simples objections historiques au système de l’auteur ; faut-il le suivre maintenant sur le terrain de la pure théologie ? Une chose qui prouve bien l’inspiration virilement religieuse de M. Renan, c’est la franchise avec laquelle il ose regarder en face le dogme de la divinité du Christ. Dans notre France, on évite les questions de cet ordre, et cette circonspection ne cache le plus souvent qu’une profonde indifférence. M. Renan est plus sincère, il veut adorer Jésus-Christ ou expliquer les motifs pour lesquels il lui refuse son adoration ; ses témérités, en un mot, sont bien autrement religieuses que le respect superficiel du plus grand nombre. Pour moi, sans contester les droits de la libre recherche, sans méconnaître en aucune manière les intentions de M. Renan, je me bornerai à dire que ses argumens ne m’ont pas convaincu. Qu’on se rassure, je laisse aux théologiens de profession, catholiques ou protestans, le soin de discuter ces matières ; je demande seulement à faire quelques objections au nom du bon sens, et comme M. Renan s’est placé sur le terrain de la philosophie et de l’histoire, c’est à l’histoire et à la philosophie que je les emprunte.

Quel est le principal argument de M. Renan ? Le voici : « Il n’y a pas de surnaturel. Depuis qu’il y a de l’être, tout ce qui s’est passé dans le monde des phénomènes a été le développement régulier des lois de l’être, lois qui ne constituent qu’un seul ordre de gouvernement, la nature, soit physique, soit morale. Qui dit au-dessus ou en dehors des lois de la nature dans l’ordre des faits dit une contradiction, comme qui dirait surdivin dans l’ordre des substances. » C’est ma faute sans doute, mais j’ai beau réfléchir, cette objection ne présente à mon esprit que des idées peu précises. Si l’auteur parle seulement des faits qui violent des lois connues, des lois scientifiquement établies de la nature des êtres, il énonce une vérité trop vraie ; s’il parle de toutes ces lois ensemble, il affirme ce que nul de nous n’a le droit d’affirmer. Les lois de l’être ! les lois de la nature ! Eh ! qui donc les connaît toutes ? Nous vivons au sein même du mystère : n’en sommes-nous pas encore à nous demander ce que c’est que le temps et l’espace ? Bien plus, il y a dans l’ordre matériel des phénomènes dont nous ne pouvons douter et que [nous n’expliquerons jamais ; il nous manque pour cela des facultés spéciales. Combien plus y en a-t-il encore dans l’ordre moral, dans le domaine des lois