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celui qui a donné à l’humanité la plus parfaite image du divin maître ; là il semble dire que Jésus est surtout un type idéal longtemps rêvé par Israël, le fruit d’une gestation qui a duré plusieurs siècles. Quand il parle du Christ, le mot divin revient sans cesse ; il l’appelle le sublime et vraiment divin fondateur de la foi chrétienne ; il dit qu’il est réellement le fils de Dieu et le fils de l’homme, Dieu dans l’homme, et cependant il est bien certain que M. Renan a pris la plume pour prouver que la croyance à la divinité de Jésus est une illusion de la conscience religieuse de l’humanité. Pourquoi ces détours, ces circonlocutions ? Est-ce manque de franchise ou de courage ? Non certes ; M. Renan est un esprit franc, une âme courageuse. Ces incertitudes de rédaction tiennent à la nature même du sujet. Chaque fois que M. Renan s’approche de cette sainte figure, adorée par l’élite du genre humain, tout armé qu’il est de sa critique, il subit la divine influence à laquelle nulle âme religieuse ne peut se soustraire. Il la subit quand il écrit tant de pages pleines de tendresse et de piété sur l’auguste patient du Calvaire ; il la subit encore quand, se raidissant pour résister au charme, il s’attache obstinément à ce principe : « le surnaturel n’existe pas. »

M. Renan a compris que ses idées sur la spontanéité religieuse n’étaient guère applicables à l’époque où le médiateur a paru. Bien qu’il s’agisse ici d’un peuple à part, bien que ce peuple manifestement privilégié, et qui avait eu plus que nul autre le sentiment religieux, eût défendu ses traditions avec un soin jaloux, bien qu’il se fût gardé de tout contact avec les races étrangères et que l’hellénisme n’eût pas pénétré d’une manière sensible chez les dépositaires de sa foi, peut-on dire qu’après une vie déjà si longue, six siècles après David et Salomon, la conscience religieuse ait pu conserver encore cette vigueur créatrice qui n’appartient qu’aux premiers jours du monde ? M. Renan ne craint pas de l’affirmer. On voit trop cependant qu’il emploie ici cet argument pour le besoin de sa cause. Il sent bien lui-même que c’est la partie la plus vulnérable de son plan d’attaque, il tâche de se fortifier dans la tranchée qu’il a ouverte ; il revient à plusieurs reprises sur ces créations de la spontanéité religieuse et sur la possibilité de ces créations au temps où a vécu Jésus-Christ. Il semble répondre aux objections de sa propre pensée ; on dirait qu’il veut se convaincre lui-même. L’argumentation est ingénieuse ; je doute cependant qu’elle puisse satisfaire un esprit vraiment philosophique. M. Renan décrit en termes excellens l’âge des miracles psychologiques, la fière originalité des créations spontanées de la conscience, cet état de féconde et naïve liberté où les facultés de l’âme, dédaignant nos pénibles combinaisons, atteignaient leur objet sans se regarder elles-mêmes. Tout cela est très juste, très profondément compris, et partout où ces idées sont de mise, elles