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d’avoir réalisé son idéal. Je vois là un désir, une aspiration de sa pensée, plutôt qu’un résultat obtenu. Il n’est pas facile de se dégager ainsi de toute passion, quant on a pris goût à ces grands problèmes qui s’emparent de l’âme tout entière. L’ardeur même que déploie l’écrivain en appliquant toutes les forces de son esprit à la critique des opinions religieuses est déjà une sorte de passion, et cette passion forme un singulier contraste avec l’indifférence ou la sérénité qu’il affecte. Je crois remarquer deux choses chez M. Renan : il est religieux, et il veut qu’on le croie dégagé de toute idée religieuse. De là quelques contradictions, de là aussi le bien et le mal qu’un esprit impartial, si je ne m’abuse, doit signaler dans ces savantes études. Le mal, c’est une certaine ironie qu’on voudrait ne pas rencontrer en pareille matière, et qui se produit sous maintes formes, — ironie aristocratique quand M. Renan réserve les religions pour la foule ignorante, ironie philosophique quand il déclare les erreurs du monde si plaisantes qu’il se garderait bien, dit-il, d’y vouloir rien changer, ironie un peu pédantesque quand il oppose au sentiment chrétien des objections de philologue, des contre-sens commis par les traducteurs de la Vulgate, comme si le christianisme était renfermé dans un texte immobile, et ne se développait pas de siècle en siècle dans la conscience de l’homme ! Le bien, c’est la haute place que M. Ernest Renan accorde à l’élément religieux dans l’histoire du genre humain. Il a compris mieux que personne que la religion est vraie dans son essence et peut compter sur une destinée immortelle, puisqu’elle est une partie intégrante de notre nature, un invincible besoin de la conscience. Il a montré que le génie de toute religion sérieuse consiste à enfermer l’infini dans des formes limitées, et bien qu’il voie là une tentative sublime et impossible, il n’en conclut pas moins que la religion, mieux que l’art et la philosophie, réalise son objet, qui est d’élever l’âme au-dessus des choses terrestres. M. Renan, il est aisé de le voir à ces diverses tendances de son esprit, n’est donc pas aussi complètement affranchi qu’il voudrait le faire croire de ces émotions intérieures sans lesquelles l’étude des idées religieuses ne paraît guère possible. Quant aux contradictions de ses écrits, elles confirment encore le jugement que je viens de porter. Je ne parle pas des contradictions apparentes : un esprit si fin, si délicat, qui veut embrasser tous les aspects d’une question, qui en veut analyser tous les élémens et saisir toutes les nuances, doit arriver souvent à des résultats dont le désaccord nous frappe ; mais, si ce désaccord est dans la nature même des choses, comment l’imputer à l’observateur qui le recueille ? Je parle des contradictions qui sont dans la pensée de l’écrivain. Il affirme que toute religion positive est impossible, il se présente à nous comme un esprit dégagé de toutes les croyances révélées, il va jusqu’à dire qu’il