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La petite culture fait parmi nous son chemin toute seule ; il n’en est pas de même de la grande ; elle a bien besoin que des hommes comme M. Lecouteux lui viennent souvent en aide, soit par leurs exemples, soit par leurs leçons.

Huit millions d’hectares environ, ou le quart du territoire cultivé, déduction faite des bois, des terres incultes et des vignes, sont encore en France entre les mains de la grande propriété. Ce n’est donc pas, quoi qu’on en dise, l’étendue à exploiter qui manque à la grande culture. Ce n’est pas davantage l’encouragement du succès, car sur ces 8 millions, d’hectares, il en est 2 environ qui sont déjà exploités en grand avec habileté et avec fruit. Ces 2 millions d’hectares, généralement situés dans les départemens qui entourent Paris, ne le cèdent en rien à ce qu’il y a de mieux en Angleterre. D’où vient que les 6 millions restans languissent dans un si triste état ? Du défaut de capitaux et d’intelligences qui se tournent de ce côté ; il y a pourtant là une belle place à prendre, un grand service à rendre au pays en même temps que de bons profits à réaliser. Si on ajoute à ces 6 millions d’hectares, 4 millions environ de terres incultes à conquérir, on trouve une étendue totale de 10 millions d’hectares, ou le cinquième du sol, qui peut encore être chez nous le domaine de la grande culture ; beaucoup d’états européens ne sont pas mieux partagés. Il ne peut donc être question de disputer, soit à la moyenne, soit à la petite culture, le territoire qu’elles occupent légitimement : elles ont environ les trois quarts du sol cultivé ; qu’elles le gardent. La petite surtout tient bien ce qu’elle tient et ne le laisse pas aisément échapper. Son lot est d’à peu près la moitié du sol ; c’est beaucoup assurément : ce n’est pas trop, si l’on considère que cette moitié est dans son ensemble la plus productive. Toutes les déclamations contre la petite propriété et la petite culture ne font rien contre ce fait démonstratif.

Aussi M. Lecouteux ne fait-il pas de déclamations ; il n’attaque pas la petite culture, il voudrait seulement que la grande se développât davantage à côté, et il a tout à fait raison. La petite culture ne peut s’étendre que lentement ; elle exige beaucoup de bras, elle ne s’applique avec profit qu’à certains produits et dans certaines conditions déterminées de sol et de débouché. La grande est d’une application plus générale, elle peut s’étendre plus vite, donner des produits différens, enfin remplir une lacune évidente dans notre économie rurale. Le traité que publie aujourd’hui M. Lecouteux n’est, à vrai dire, que la seconde édition de deux ouvrages précédemment publiés par lui, l’un sous le titre de Guide du Cultivateur améliorateur, l’autre sous le titre de Principes économiques de la Culture améliorante ; mais cette seconde édition, entièrement refondue, remaniée, augmentée, est en réalité un nouveau travail, qui porte l’empreinte du mouvement progressif de l’esprit de l’auteur, et où son idée favorite, la grande culture, se dégage plus nettement ; on y sent aussi l’influence de plus en plus marquée des études économiques.

Pour l’exposé de ses idées, M. Lecouteux a choisi la méthode suivante : il commence par se demander les qualités que doit avoir un entrepreneur de culture, et il passe en revue à cette occasion les divers modes d’exploitation du sol, le faire-valoir du propriétaire, la régie, le bail à ferme, le métayage,