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d’Argens ne craignait pas d’exagérer en faveur de ceux-ci la justice qu’il déniait sans marchander aux plus grands maîtres de l’Italie et des Pays-Bas. Aussi son livre, peu lu aujourd’hui, est-il resté médiocrement utile à la cause qu’il prétendait servir. N’importe : si erronés que soient les commentaires, la thèse n’en est pas moins bonne, le principe n’en garde pas moins sa justesse. Le mieux eût été seulement de s’en tenir à l’histoire de notre école, au lieu de se complaire dans des rapprochemens impossibles entre Blanchard et Titien, entre Rubens et Lemoine, et d’accoler sans scrupule des œuvres et des gloires si manifestement inégales.

Cette thèse, mal défendue par le marquis d’Argens, un écrivain à qui l’on doit déjà de très utiles publications sur l’histoire de l’art français, M. Dussieux, l’a reprise et soutenue avec autant de sagacité que d’érudition. M, Dussieux n’a pas cherché, comme son devancier, à forcer le sens des faits. Il a jugé avec raison qu’il suffisait de les recueillir et de les classer, de manière à composer une sorte de dictionnaire où l’on pourrait suivre la série de tous les artistes français qui, depuis le moyen âge, ont imprimé à l’art des autres pays une direction nouvelle, et popularisé au loin nos traditions : idée excellente, que nous avons eu occasion de louer ici même, alors qu’une première publication, dont le seul tort était de paraître trop succincte, avait commencé d’attirer l’attention sur un point si longtemps négligé. M. Dussieux a développé dans un livre ce qu’il avait d’abord résumé en quelques pages. Son travail est devenu complet, trop complet peut-être, car l’auteur ne s’est pas contenté de mentionner, les artistes français qui ont exercé, soit par leurs enseignemens personnels, soit par leurs ouvrages, une action véritable sur la marche des diverses écoles : il a cru devoir mentionner aussi tous ceux qui ont exécuté, sans sortir de chez eux, un tableau, une statue, une estampe même, pour le compte de quelque souverain ou de quelque amateur étranger. Or une nomenclature si complète était-elle absolument indispensable ? Que Lagrenée, par exemple, ait envoyé en 1775 deux de ses tableaux à Londres, que Ménageot ait peint pour l’académie de Saint-Pétersbourg Mars et Vénus, l’art très probablement ne s’en sera trouvé ni pis ni mieux en Angleterre et en Russie, et l’honneur reste en somme assez mince pour notre école. À quoi bon insister au surplus ? Si M. Dussieux s’est un peu exagéré parfois ses devoirs d’historien, on ne saurait beaucoup lui reprocher ces préoccupations extrêmes d’exactitude. Le défaut contraire se rencontre si souvent dans les écrits sur les arts, qu’on aurait mauvaise grâce à accuser l’auteur de la nouvelle publication d’avoir péché en quelque façon par excès de recherches et de scrupules.

Pour faciliter l’intelligence du sujet qu’il avait entrepris de traiter, M. Dussieux a fait précéder son travail d’un essai sur les phases successives qu’a traversées l’art en France. Dans ce résumé parfaitement clair et le plus souvent judicieux des progrès et des défaillances de notre école, aucun fait important n’est omis, aucune indication essentielle ne manque à l’exposé de l’ensemble. L’admirable mouvement de l’art au XIIIe siècle, à cet âge d’or de l’architecture et de la sculpture nationales, — les entraînemens de la renaissance, si bien rachetés d’ailleurs par les œuvres exquises de Pierre Lescot et de Jean Goujon, — la grandeur, puis le faste de l’époque académique et