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leurs progrès entrelacés, leurs empiétemens et leurs excès réciproques, les blessures que l’une et l’autre en ont reçues, et surtout le mal qu’en a reçu la France, alternativement privée de l’un de ses appuis. C’est précisément à cette question que de nombreux ouvrages sur la formation de la monarchie administrative préparent la réponse, quel qu’en soit d’ailleurs le plan. Les uns, comme M. Dareste et M. Chéruel, ont étudié le développement administratif en lui-même et dans toutes ses parties ; les autres, parmi lesquels il faut citer avant tout M. de Carné, réunissant les résultats dans une idée plus complète, ont montré le royaume et le territoire fondé à la fois par un travail séculaire, et, dans cette immense création, les mérites permanens de l’ancienne monarchie, ses abus graves, mais guérissables, et la possibilité pour les temps modernes de profiter, quand l’heure sera venue, du souvenir de tous ces mérites et de l’aveu de toutes ces fautes. Tous aboutissent à ce dernier point. L’exposition approfondie des causes et des circonstances qui ont conduit la France à son état moderne est l’œuvre de conciliation par excellence. À mesure qu’on avance dans ce travail, on voit les antipathies s’affaiblir ; quand il sera complet, elles seront éteintes, parce qu’on aura tout vu, les nécessités, les impossibilités, les erreurs de tous, l’indispensable intervention du temps dans les choses humaines, et, après tout, de grands hommes dans tous les camps. Or la conciliation, c’est le salut ; c’est l’unité sans détriment de la liberté.

Il y avait une lacune importante entre les travaux récemment publiés sur l’administration d’Henri IV et les ouvrages que nous possédions déjà sur Colbert ; la correspondance publiée par M. Avenel, et dont M. de Rémusat a parlé ici même[1], ne touche guère qu’à la diplomatie. M. Caillet a voulu remplir cette lacune, en ce qui concerne les mesures administratives, par une étude du même genre sur le cardinal de Richelieu. C’est encore un livre plein de faits, recueillis dans les dépôts inédits aussi bien que dans les documens imprimés, et exposés avec autant d’ordre et de clarté que de réserve dans les jugemens. Richelieu n’apparaît d’ordinaire à nos esprits que sous l’aspect de l’homme terrible, du ministre régnant qui courba tout, même son roi, sous la puissance de son génie et de son caractère ; qui, prenant la politique par le haut, ne s’abaissa guère aux détails intérieurs et à ces améliorations administratives où gît pourtant le secret de la force et de la prospérité publiques ; qui abattit la maison d’Autriche, détruisit l’existence politique des protestans organisée comme un état dans l’état, et porta le dernier coup à la féodalité, qui semblait renaître sous une forme nouvelle, prête à démembrer la nation. Ces grands actes ont éclipsé tout le reste. Pourtant l’administration fut loin de rester stationnaire sous son ministère. Non-seulement, en déblayant les derniers obstacles sérieux que rencontrait encore la monarchie, il rendit possible le règne de Louis XIV et les créations qui devaient l’illustrer ; mais il fit lui-même des réformes utiles, et en essaya qui furent reprises après lui. Ce fut lui qui donna un centre et un lien à l’administration générale, en organisant le conseil d’état comme il devait rester, à peu de chose près, jusqu’en 1789. Il établit au

  1. Voyez la livraison du 15 février 1854.